15 Salamata

Notes de l’auteur : ATTENTION : propos et actions violents.
Ah que bonjour.
Alors, ce chapitre est jumelé avec le suivant (ils ne forment qu'un grand tout en fait). A l'origine un seul chapitre, mais si long que j'ai dû m'obliger à le couper.
C'est assez condensé, j'ai essayé de faire au plus court.

   Qui est donc cette justice ?

Mercredi matin, une scène inédite s’est déroulée devant le palais de justice : un jeune homme a été retrouvé harnaché à un poteau, des preuves de ses méfaits placardés tout autour de lui, preuves qui semblaient avoir été tues lors de son procès.

   Là où l’affaire devient retentissante, c’est que la victime n’est autre que le fils du député Bernard Faquin, blanchi dernièrement de son accusation d’agression sexuelle pour manque de preuve. Cette « Justice » vient donc de contredire ce fait.

   A quelques mois des élections, voilà qui devient fâcheux pour le député et son parti ; est-ce le couperet cinglant d’une défaite annoncée depuis des mois ? Son manque d’engagement social et sa vision décalée de la société étant dernièrement très décriés.

  Il n’empêche que pour beaucoup, cette Justice est la bonne réponse à un système juridique aux abois ; elle…

 

   Rose remuait sur son siège, les sourcils tendus en une ligne en relisant encore et encore l’article du journal. Comment était-ce possible ?

   Rachid s’approcha d’elle, deux cafés à la main, et s’assit à côté. Rose avait toujours la tête derrière la double page.

   — Quoi de beau ? demanda t-il en lui tendant son café.

   — Le fils du député s’est fait arrêté par une justicière, dit Rose d’un ton lugubre, pliant le journal pour montrer l’article à Rachid.

   — Celui qui a abusé d’une nana ? Bien fait pour lui.

   Rose lui lança un regard sombre.

   — Tu sais très bien comment fonctionne la justice pour la haute sphère, rétorqua Rachid en haussant les épaules. Un peu plus et c’était la fille qui allait être condamnée.

   — Je le sais très bien. Et oui c’est bien fait pour lui. Mais nous n’avons pas besoin de ce genre de publicité pour le moment.

   Rachid observa son visage, cherchant une quelconque réponse dans les ridules de ses yeux.

   — Tu penses qu’elle fait partie des nôtres ?

   Rose lui montra du doigt une ligne de l’article.

   — Elle est venu chercher le fils du député chez lui. J’ai regardé sur internet. Le gaillard fait pas loin du mètre quatre-vingt-cinq et est plutôt bien bâti. En plus, quand tu es fils de député, tu dois avoir quelques gardes, surtout dans des temps troublés pour ta famille ?

   Rachid acquiesçât.

   — Supposons que c’est une nana de taille standard, donc dans le mètre soixante-huit ; tu la vois s’occuper de quelques gardes puis du fils sans être interrompue ?

   — Non, haussa des épaules Rachid. Mais elle n’était peut-être pas seule.

   — Elle l’était. C’est ce qu’a déclaré le fils. De plus, il a dit qu’elle était déguisée.

   — Déguisée ?

   — Oui. Je te laisse observer en quoi.

   A côté de l’article, une photo issue d’une caméra de vidéosurveillance illustrait la jeune femme, dans la pénombre et avec des contours flous.

   — Un ange ?

   — Une Walkyrie. Et quelle est la première chose que l’on fait quand on découvre son don ?

   Rachid tendit un sourire complice.

   — On se cherche un déguisement pour sauver le monde. Pour le venger.

   — Une Walkyrie vengeresse. Justice. Elle a toute la panoplie d’une personne qui a reçu un don.

   Rose regarda dans le vide devant elle, les méninges en éruption.

   — Ça n’a vraiment pas l’air de t’enjouer.

   — Je ne veux pas qu’elle nous mette des bâtons dans les roues.

   Rachid sortit de sa poche un paquet de cacahuètes caramélisées, et commença à en grignoter quelques unes.

   — Tu dramatises et tu ne vois pas le bon côté des choses.

   Rose plia les jambes, posant le journal sur ses cuisses. Elle se retourna vers lui avec un air songeur.

   — Qui est ?

   — Tu as trouvé une nouvelle recrue, lui sourit-il.

   Il n’avait pas tord, et Rose se mit à sourire en coin aussi. Rachid regarda le tableau d’affichage, et se leva, remettant la lanière de son sac à dos sur l’épaule.

   — Le vol pour Dakar est prêt à embarquer.

   Rose déplia les jambes, rangea soigneusement le journal dans son sac, et imita Rachid en se levant.

 

   Un soleil de plomb baignait Dakar d’une chaleur asséchante. Rose se dirigea vers l’office du tourisme la plus proche, les premières gouttes de transpiration dégoulinant de son front.

   Rachid observait la population en l’attendant ; des dizaines et des dizaines de taxis s’amassaient, proposaient leurs services, parfois trois en même temps pour une seule personne. Le bruit des mobylettes se mêlaient aux pots d’échappement troués de la plupart des voitures, dans un capharnaüm on ne peut plus vivant. De jeunes femmes portaient des kilos de bananes sur leurs têtes, un marché aux fruits et légumes s’animant un peu plus loin. La population était mêlée d’une façon plaisante ; l’ouvrier en marcel crasseux côtoyait l’homme en costume cravate autour d’un café à une terrasse. Rachid avala une grande goulée d’eau et Rose ressortit du bâtiment, son débardeur gris déjà couvert d’auréoles.

   — Alors ? demanda Rachid quand elle s’approcha de lui.

   — Ils m’ont dit que la zone était trop dangereuse en ce moment et que le trafic routier y était coupé. Aucun bus n’y va, pas d’avions officiel non plus.

   — Ah.

   Rachid regarda à l’autre bout de la rue, où une dizaine de taxi attendaient désormais.

   — On pourrait leur demander ? Ils ont l’air de chercher le client.

   — Traverser la moitié du pays en taxi ? Il faudrait déjà qu’ils acceptent, et ça risque de nous coûter une blinde.

   — On peut toujours se renseigner, répondit Rachid en haussant les épaules.

   Rose approuva et ils se dirigèrent à l’autre bout de la rue. Rapidement, les taxis déclinèrent poliment toute offre, arguant que la zone était trop dangereuse. Le 14ème taxi déclina à son tour, mais les aiguilla vers l’autre côté du marché, où quelques « clandos » voudraient peut être bien les emmener moyennant de l’argent.

   — Clando ? demanda Rachid quand ils s’éloignèrent de la place.

   — Clandestin. Ce sont des taxis illégaux. En général, avec eux, le voyage est… mouvementé.

   La rue de l’autre côté du marché était plus vétuste, et quelques vieilles gimbardes habillaient effectivement les trottoirs, leurs chauffeurs en chemise à fleur attendant sur leurs capots bosselés. Rose en aborda un, puis deux, puis trois, avec toujours la même réponse : hors de question d’aller dans cette zone. Rose perdit espoir et tacha de trouver un autre plan. Avec l’argent qu’ils avaient, ils pouvaient se trouver une voiture assez solide pour tenir jusqu’à la bas, mais le voyage serait long et délicat, compte tenu de leur méconnaissance totale des routes du pays.

   — Excusez-moi… madame ?

   Rose, qui avait la main ouverte sur sa mâchoire, se retourna, observant une jeune femme à la grossesse débutante la regardant avec de grands yeux noirs. Elle était élégante et portait un panier de fruits sous le bras.

   — Oui ?

   La jeune femme baissa les yeux, et posa son panier de légume.

   — J’ai entendu dire que vous vouliez allez à la frontière entre le Mali et la Guinée. Mon… mon mari se dirige non loin de là-bas, dans un village où vous pourriez trouver une voiture à pas chère.

   Le visage de Rose s’illumina, celui de Rachid un peu moins, s’attendant à un moyen de transport dangereux.

    — Votre mari serait prêt à nous prendre comme passager ?

   — Oh oui. Il a besoin d’aide pour descendre les marchandises. Je ne peux plus l’aider, je dois me reposer. Il est… le seul espoir de ces villages.

   Rose observa le panier de fruit, qui plein à craquer devait bien peser dans les vingt-cinq kilos. Elle pencha la tête et fit une moue compréhensive.

   — Pas de problème pour nous. Quel type de transport à votre mari ?

   — C’est un Dakota.

   Rose se retourna et lança un faciès enthousiasme vers un Rachid résolu.

   — Oh misère…

 

   Le vieil avion portait les séquelles des frontières dangereuses. La peinture autrefois marron laissait le plus souvent sa place à l’acier nu et bosselé, et des impacts de balles formaient des trous béants sur le fuselage et sous les ailes. Ses moteurs étaient couverts d’huile noire et odorante, et beaucoup de fils électriques étaient apparents à l’intérieur de la soute, où plein de grosses cordes pendaient pour permettre d’harnacher les caisses de provision.

   — Et… c’est sensé voler ça ? s’étrangla Rachid devant le vieux zinc.

   Rose lui tapota l’épaule.

   — T’inquiète pas, ce n’est pas aujourd’hui qu’on va mourir lui répondit-elle, avant de se diriger vers le propriétaire qui s’activait à fermer des caisses en bois.

   — Facile à dire quand on est immortelle, grommela Rachid de sorte qu’elle ne puisse l’entendre.

   Rose s’approcha de l’homme, bien débordé par la quantité de marchandise qu’il avait à entasser. L’homme redressa la tête, s’essuyant le front à l’aide de la manche de sa chemise rouge à carreaux. Il se redressa péniblement en soutenant ses reins, appréciant la soudaine pause.

   — Monsieur André ? demanda Rose en tendant une main.

   L’homme l’analysa de haut en bas, puis lui tendit une main chaleureuse.

   — Vous êtes ? demanda-t-il avec un fort accent local.

   — Rose Finn. Nous avons rencontré votre femme Inaya sur le marché, et elle nous a indiqué que vous pourriez nous accueillir dans votre avion moyennant de l’aide.

   L’homme posa de nouveau ses yeux sur les deux acolytes, puis se retourna vers sa caisse en faisant un signe de main.

   — Aidez-moi à la charger dans la soute.

   Rose et Rachid posèrent leurs sacs et aidèrent l’homme à pousser les caisses et les attacher. Il y avait plusieurs tonnes de marchandises, des céréales sèches, des fruits et légumes, et même quelques armes.

   — Vous transportez une cargaison pour toute une ville, remarqua Rose.

   — Près de la frontière, plus personne ne ravitaille les villages. C’est devenu trop dangereux.

   Rose attrapa une petite caisse et l’attacha à un filet au sol.

   — Personne ne fait rien ?

   — Si, mais seule elle ne peut pas tout régler.

   L’homme se redressa soudainement comme s’il avait dit une bêtise, et s’éloigna vers son cockpit sans piper un mot de plus. Rose et Rachid échangèrent un regard.

   — On se renseignera un peu plus en arrivant là-bas, dit Rachid en posant sa main sur son épaule et en s’approchant près d’une banquette sous un hublot.

   — Nous allons décoller, les prévint alors André.

   Rose rejoignit Rachid et s’installa sur un siège à côté. André s’activa sur ses commandes, appuyant sur divers boutons qui finirent par enclencher le démarrage. L’avion s’ébroua dans les panaches blancs et noirs de ses moteurs qui claquèrent en crachant des flammes, puis tournèrent dans un vrombissement régulier et assourdissant. André appuya sur les gaz et le dakota pivota de quelques degrés pour se mettre droit le long de la piste de terre couverte de cahots et de trous. Rachid pria pour lui-même.

   Le vieux coucou s’élança tant bien que mal sur la piste, brinqueballant et remuant ses occupants en prenant de la vitesse, tassant les côtes et les vertèbres. Les deux compagnons s’accrochèrent comme ils purent aux cordages autour d’eux, provoquant un fou rire de Rose et l’outrage de Rachid pour le comportement de cette dernière. Enfin, l’avion fit trois grands bonds et s’élança dans les airs, à quelques mètres seulement de la fin de la piste.

   Malgré quelques secousses, le vol fut sans encombre, et après quelques heures en l’air, ils atterrirent à 50km de leur objectif, la région de Kédougou.

   Bien qu’encore éloignée du conflit, la zone portait quelques stigmates de combats, ainsi que les odeurs. La guerre qui faisait rage dans la région opposait des camps terroristes à des villages sans défenses ; les trois gouvernements ne s’en préoccupaient pas, encore moins les ONG qui trouvait l’endroit trop dangereux et peu digne d’intérêt.

   Ils quittèrent André après l’avoir aider à décharger ses marchandises, des hommes du village venant les récupérer. Avant de se quitter, André leur indiqua l’endroit où le garagiste pourrait leur fournir un véhicule roulant pour quelques francs CFA.

   Rose et Rachid marchèrent quelques kilomètres sur une piste poussiéreuse et ocre. La terre qui volait au vent collait sur les vêtements humides de Rose et sur son front. L’air sec était désormais intenable. Ils arrivèrent enfin dans le village, le dernier presque sûr avant d’entrer dans la zone de conflit. Le village était pittoresque ; des cabanes de glaises sèches ; quelques grands baobabs donnant les seuls points d’ombre et composant la seule végétation. Le garage se situait tout au bout et ressemblait plus à une casse qu’à autre chose.

   Les voitures s’entassaient dans une cour jonchée d’huile noire, et au mieux, ils ne leur manquaient qu’un phare. Au pire, il ne restait que le capot avant, quatre roues et un siège. Rose et Rachid firent le tour du propriétaire, tout en s’épongeant de temps en temps le front avec des serviettes devenues marron. Ils trouvèrent l’homme dans un abri de tôle, en train de remonter un moteur.

   — Mr Coulibaly ? demanda Rose en s’approchant de l’homme.

   — Oui c’est moi, répondit poliment l’homme en serrant ses derniers écrous.

   Il était grand, mince, avait une trentaine d’année et quelques dents en moins. Il dégageait une aura assez sympathique en première instance.

   — Que voulez vous ? demanda-t-il.

   — Nous recherchons une voiture pas chère pour nous emmener à la frontière. Auriez-vous cela ?

   L’homme ne répondit pas tout de suite, concentré sur son moteur ; il serra un dernier écrou, et s’approcha d’une machine qu’il avait fabriqué lui-même avec de vieux bouts de métal et une batterie. Il brancha un câble, appuya sur un bouton et le moteur démarra sans mal et dans un bruit d’enfer. Satisfait, il l’arrêta. Il se tourna alors vers Rose, et lui demanda.

   — De combien vous disposez ?

   — 5000 francs CFA, répondit-elle.

   L’homme se leva, s’essuya les mains sur un vieux chiffon sale et leur demanda de les suivre.

   Ils marchèrent un moment dans les allées, et arrivèrent dans un coin où les voitures étaient mieux rangées ; pratiquement complètes, cabossées, mais en bon état comparées aux autres.

    — Toutes celles-là sont à 5000 francs.

   Rachid et Rose observèrent. Il y avait deux Peugeot 504, une berline et un pick-up ; un pick-up Toyota totalement cabossé et retravaillé, une Mercedes dont le châssis était sur le point de céder, et une BMW dont les suspensions étaient trop basses. Rose eut le regard attirée par une voiture un peu plus loin.

   — Et la Visa là ?

    L’homme redressa la tête et il se dirigea vers la voiture. C’était une vieille Citroën Visa grise métallisée, dont le vernis avait cramé. Il manquait les deux portes arrière, et à la place, des barres avaient été soudées pour solidifier la caisse. Les ailes avaient été partiellement découpées pour laisser passer la boue ; les pneus étaient des tout-terrains. Il manquait un phare avant, et un arrière.

   — Celle-ci, répondit le garagiste, c’est 3000.

   — C’est un diesel ?

   — Oui, c’est un diesel.

   — Et elle fonctionne ?

   L’homme s’installa au volant et enclencha le démarreur en faisant toucher deux fils. Le moteur tourna deux trois fois avant de démarrer dans une fumée noire mais un son régulier ; le pot d’échappement avait était bricolé, et sortait sous la portière conducteur. Rose s’approcha et s’appuya sur le capot pour tester les suspensions. Cela semblait plutôt correct pour le prix.

   — On la prend, dit elle en tendant l’argent.

   Ils chargèrent la voiture de leurs bagages et se rendirent au centre du village. C’était désormais l’heure de la pêche aux informations.

   Rose et Rachid furent rapidement invités chez le chef, habitant dans la plus grande case, avec trois femmes âgées. Lui-même était vieux, ce qui était rare dans la région.

   La femme la plus âgée et la plus courbée leur servit un thé à la menthe qui les hydrata au mieux. Assis en tailleur autour d’un tapis, Rose les questionna :

   — Nous sommes à recherche d’une guerrière, avec des pouvoirs qui dépasserait l’humain. En auriez vous eu connaissance ?

   L’homme baissa la tête en une moue pensive.

   — Il est possible qu’une telle personne existe, répondit-il d’une voix blanche.

   L’homme attrapa la tasse de thé qu’on lui tendit, et en but une longue gorgée, avant de regarder Rose droit dans les yeux.

   — Mais si j’avais de telles informations, pourquoi les partagerais-je avec vous ?

   Il y eut un cliquetis métallique derrière eux, vers la porte d’entrée, reconnaissable en tant que chargement d’une arme à feu. Ce devait être les deux jeunes gens qui gardaient l’entrée. Rose, sans plus y prêter attention, reposa sa tasse.

   — Il se trouve que nous partageons avec elle une capacité hors du commun. Nous sommes à sa recherche pour former une équipe.

   L’homme se frotta le menton, et une des femmes derrière remis son châle autour de son coup et fit un signe de prière.

   — Vous êtes comme elle vous dites ? Prouvez-le.

   Rose redressa ses épaules, et tourna les yeux vers son compagnon.

   — Moi ?

   — Je ne voudrais pas tacher le tapis de notre hôte.

   Rachid grimaça, mais se leva et se mit au centre du cercle. Il sortit de son pantalon un petit couteau que les gardes n’avaient même pas prit le temps de soustraire. Ces deux derniers firent deux pas en avant, braquant leurs armes à la vue du petit canif. Le chef leur fit signe de s’arrêter, regardant avec des yeux intéressés Rachid qui s’était mis à genou et avait posé sa main gauche au sol. Il attendit le signal de Rose, puit plongea la lame de couteau sur le dos de sa main de toutes ses forces. La lame se tordit lamentablement au contact de sa peau, devant les cris estomaqués de la salle. Le chef murmura à l’oreille de la troisième femme qui demanda le couteau à Rachid, et l’examina, tâtant le tranchant. Elle se coupa l’index avec.

   — L’argument tient la route, reprit le vieil homme. A présent, qui me dit que vous ne la cherchiez pas pour lui faire du mal ?

   — Je serais en train de vous torturez pour vous soutirer des informations sinon.

   L’homme eut un regard choqué, et éclata d’un rire joyeux.

   — C’est vrai, c’est vrai… Quel est votre nom jeune fille ?

   — Je m’appelle Rose. Rose Finn.

   De nouveau des cris estomaqués, et des murmures dans le fond de la pièce. L’homme déposa cette fois-ci un regard admirable sur la guerrière, et reprit avec respect :

   — Oui, il y a bien une femme bénie par la nature. C’est grâce à elle que ce village est en paix.

   Rose hocha la tête.

  — Elle vous a sauvé.

   Il avala une nouvelle gorgée de sa boisson.

  — Elle a sauvé le village. A elle seule. Elle a fait reculer les groupuscules qui nous persécutent de plusieurs kilomètres. Elle est redoutable, et redoutée.

   Les yeux de Rose pétillèrent, et elle replaça ses cheveux crasseux en arrière d’une geste ample de la main.

   — Où pourrions-nous la trouver ?

   — Suivez les traces de conflits récents, elle ne sera pas loin, répondit l’homme en pointant le tapis de la main comme si c’était une carte. En ce moment, elle sévit au sud.

   Rose hocha la tête. Elle se releva de sa position tailleur, imitée tout de suite par le vieux sage ; qui lui tendit une main et s’inclina en une révérence.

   — Ce fut un honneur de rencontrer la Rattel.

   Rose serra chaleureusement sa main avec un sourire au coin des lèvres.

 

   Dehors, Rachid ne put s’empêcher de lui faire la remarque.

   — Ta légende se retrouve vraiment aux coins les plus inattendus.

   Rose, qui remettait la lanière de son sac, commença à marcher en direction de leur véhicule.

   — J’ai effectué une mission par ici il y a quelques années. Les gens doivent se la raconter entre eux.

   Rachid s’installa du côté passager, et ferma la porte.

   — Tu es trop modeste.

   Rose lui sourit, et démarra la voiture. Ils reprirent la route en direction du sud. Bientôt, ils virent des camps abandonnés, des armes et des munitions qui jonchaient le sol, des traces de sang dans les caniveaux ou sur la route. Sur certains murs, on pouvait lire en Wolof « merci à toi guerrière guépard ». Après une vingtaine de kilomètres sur des chemins tortueux et cassés, ils tombèrent sur un camp dont le conflit récent faisait encore fumer la terre. Des corps de soldats gisaient au sol, certain coupé net en deux. L’odeur de la mort se mêlait à la poussière. Rose arrêta la voiture, et sortit observer un cadavre. A genoux, elle tata la coupure nette sur le haut du corps.

   — Il faut une sacrée force pour faire cela, indiqua Rachid, debout derrière elle.

   Rose tâtait le sang entre ses doigts, encore chaud.

   — Où une grande vitesse, fit-elle remarquer. Regarde les traces au sol.

   Rachid releva la tête et observa les marques dans la terre qu’il suivit. Les pas étaient ceux d’une seule personne, mais espacés d’au moins deux mètres. Un nuage de poussière stagnait au dessus de ses traces. C’était tout récent.

   — Notre guerrière doit être proche je pense, dit Rachid en suivant la piste.

   — Effectivement, dit Rose en se lavant les mains avec sa bouteille d’eau.

   Elle se leva, le rejoignant tout en observant les cadavres autour d’elle ; à certain, il manquait des doigts, une main, voir les deux.

   Les traces longeaient un mur d’argile qui était l’enceinte d’un camp de guerre des terroristes. Rachid continua d’avancer, se rapprochant de l’angle.

   Rose entendit un sifflement, et sentit une légère brise sur son visage ; elle n’eut pas le temps de crier « Attention ! » que Rachid arriva au coin du mur.

   Il y eut un gros nuage de poussière, et apparu d’un coup la guerrière, un sabre droit à la main, prête à découper Rachid en deux ; mais elle s’était arrêtée, à un mètre de lui, posa ses yeux sur lui, puis sur Rose, et rengaina son épée tachée de sang. Rachid était devenu blanc comme un linge

   — Mais ça ne va pas la tête ? se plaignit-il. J’ai failli avoir une attaque !

   — Pardon, dit la guerrière le plus simplement du monde. J’ai cru quelques secondes que vous étiez l’un d’entre eux, venu en renfort. Je devais être sûre, pour que les filles soient en sécurité.

   La guerrière se tenait droite, et observait les alentours, sa longue tresse en épi descendant dans son dos, le soleil se reflétant sur les flancs rasés de son crâne. Rachid, encore sous le choc, demanda :

   — Et vous êtes ?

   — Nous n’allons pas en discuter ici ; suivez-moi.

   Rose et Rachid échangèrent un regard.

   — Tu ne sais même pas qui nous sommes, lui indiqua Rose, sceptique.

   — Lui, je ne sais pas, en effet, dit-elle en pointant Rachid du doigt. Mais toi, tu t’appelles Rose. La rattel.

   Rose sourit ; au moins, cela lui avait évité une longue négociation. La jeune femme était grande et athlétique ; jeune adulte, elle portait un appareil dentaire.

   — Nous avons une voiture, lui dit Rose.

   — Ah ! Ça m’arrange, répondit la jeune fille en levant ses pieds. Ses baskets étaient complétement cuites, une partie de la semelle ayant fondue, l’autre pendant lamentablement au bout des orteils.

   Dans la Visa, la guerrière indiqua le chemin, et ils parcoururent quelques kilomètres sur le sentier battu, arrivant finalement sur une plaine déserte, où elle demanda de s’arrêter ; il n’y avait de visible que des traces de pas ; de ses pas, espacés de plusieurs mètres.

   — C’est ici.

   Elle toucha le sol, et souleva une trappe cachée sous la poussière, qui révéla un escalier profond.

   — Suivez-moi, leur damanda-t-elle.

   Rose et Rachid prirent leurs affaires, et descendirent les escaliers. C’était un bunker moderne, avec une bardée de nouvelles technologies à l’intérieur ; la guerrière les emmena dans une pièce assez grande, où il y avait plusieurs fauteuils et canapés, des ordinateurs, des armes ; blanches et à feux ; des bassines, un lavabo et des armures. La guerrière retira la sienne, qui était faite de Kevlar et de carbone, qu’elle fit tremper dans une bassine pleine d’eau et de lessive ; l’eau devint rapidement rougeâtre ; au lavabo, la jeune femme posa un sac bandoulière, se rinça le visage, enlevant la poussière et l’hémoglobine qui collait à sa peau d’ébène. Enfin elle se retourna vers eux pour commencer à discuter.

   — Je suis un peu plus présentable.

   — Comment tu t’appelles ? demanda Rose en première instance.

   — Salamata, répondit simplement la guerrière.

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