15 Décembre 1912

15 Décembre 1912

 

Le ciel lourd de neige déverse enfin quelques flocons sur Paris. Il fait froid et presque blanc. Je suis donc bien heureuse d’avoir ma toque et mon manchon de fourrure qui, en plus d’être ravissants, vont avec tout, notamment le bleu, unique couleur que je porte loin de la mer.

Le fiacre nous a déposé à une rue du Printemps tant la foule d’élégantes agglutinées devant était grande et que l’on ne pouvait s’arrêter sans craindre de bloquer toute la circulation derrière. Tante Madeleine est en tête, menant sa petit troupe de sa démarche un peu trop rigide, piètre reflet de son caractère excentrique. Son ensemble est d’une coupe élégante mais sa couleur rose lui donne, à mon avis, une allure de vieil abat-jour. Elle n’est ni jolie ni laide mais possède une grande prestance -bien qu’aujourd’hui sa tenue n’y rende pas hommage-, est d’un naturel pétillant et est toujours parfaitement renseignée sur tout, mais alors vraiment TOUT, ce qu’il se passe dans le monde avec un grand M. Ses deux yeux vifs que seul son grand nez semble séparer percent le Boulevard Haussmann et nous guident à travers les nuages de buée et de tabac des passants. Suzon, ma grande amie, marche à côté de moi emmitouflée dans son vison, tout excitée d’être ici. Depuis quelques années maintenant, nous partons toutes les deux à Paris chez Tante Madeleine la sœur de Papa pour une semaine de réjouissances.

Je n’étais jamais venue au Printemps durant les grands préparatifs des festivités. Je peux maintenant dire que c’est quelque chose à voir au moins une fois. A l’extérieur comme à l’intérieur règne une effervescence aussi joyeuse qu’elle est vaniteuse à d’autres saisons. La coupole est toujours aussi belle, posée comme une grosse fleur de verre sur son bouquet d’étages, de lumières et de décorations de Noël. Une vendeuse très aimable vient nous aider à choisir la tenue idéale du réveillon et nous conseille sur les dernières tendances. Tante Madeleine se permet d’ajouter quelques suggestions pertinentes, la demoiselle est assez impressionnée et finit même par lui demander pour quelle revue de mode elle travaille. Personnellement, j’opte pour une robe en velours ras vert impérial, avec de larges manches ballons et un col cygne assez montant. Nous nous disputons à son sujet avec Suzon qui la veut aussi. Je la laisse l’essayer, elle revient se trouvant horrible avec, les larmes aux yeux et une mine à fendre le cœur. Elle qui est si jolie, c’est vraiment le genre de détresse que je ne saisirai jamais complètement. Nous lui trouvons finalement une belle robe rouge toute rebrodée de fleurs qu’elle porte à merveille.

 

 

Le soir venu, après notre journée harassante de boutiques nous exposons tous nos trésors sur notre grand lit dans une des chambres de l’appartement de Madeleine. En Père Noël efficace j’ai trouvé tous mes cadeaux aujourd’hui. Mon regard s’attarde sur les jolis flacons de parfums que j’ai choisis pour papa et Jean. Suzon m’a aidé à choisir celui de mon frère, elle est un peu amoureuse de lui. Je l’ai remarqué depuis longtemps maintenant : au début, lorsque je lui en parlais elle niait tout et devenait écarlate, désormais elle rit juste un peu et son visage mutin se teinte à peine de rose. En vérité je ne suis pas très surprise. Jean est grand et costaud avec des épaules bien carrées. Il aime passer sa main dans ses cheveux toujours un peu ébouriffés. Les filles les aiment beaucoup, je sais pourquoi, cela lui donne un air de gentil voyou. Enfin, voyou du dimanche surtout je trouve, avec son regard doux et ses joues perpétuellement rosies comme celles d’une poupée. Il a hérité du long nez fin de Papa et de ses grands yeux bleus en amandes. Ceux-là j’ai les mêmes mais le petit nez de Maman. Aussi, deux larges fossettes encadrent son sourire, ce qui le rend plus charmant encore. Sachant qu’il sourit beaucoup, il l’est donc la plupart du temps. Pour couronner le tout, il est drôle, aventureux voire chevaleresque à ses heures perdues et joue très bien du violoncelle. Non vraiment je comprends Suzon. Ce garçon est une vraie perle Tante Madeleine a bien raison.

Autrement, sous le sapin chacun devrait être ravi je pense, enfin j’espère. J’ai pris une grande étole en cashmere brodée pour Maman, du thé Mariage Frères pour Grand-Mère, une paire de gants violine pour Madeleine qui ne cessait de les admirer dans le magasin, un Jules Verne pour Filippa la plus âgée de mes deux petites sœurs et une poupée de porcelaine avec sa robe d’impératrice, son petit manteau perlé et sa jolie chemise de nuit pour Frida. J’avais déjà choisi le dernier recueil d’Apollinaire pour Marius lorsque, chez un Antiquaire, ma curiosité a été saisi par un des bijou exposé entre deux gorgones. C’était un petit anneau de marin en or, -pour le plus grand désarroi de sa mère Marius s’était fait percer l’oreille avec ses copains de promo-, assez épais pour qu’on puisse y distinguer gravé le dessin de trois coquillages :une bucarde et deux ranelles. Remarquant mon intérêt pour la pièce, le vendeur vint me parler avec la désinvolture élégante du marchand aisé qui s’y connaît. L’histoire du bijou était aussi belle que lui. C’était un vieux conte sur des selkies et un marin des îles Shetland, un rocher qui pleure et une sorcière-hibou. Peut-être l’a- t-il inventé de toutes pièces, peut-être la tient-il véritablement de ce vieux pirate rencontré un soir à Liverpool. Personnellement, j’aime à croire qu’elle est vraie, que des femmes-phoques ont réellement offert ce trésors à un géant de pierre pour le consoler et cela malgré la colère d’une magicienne étrange.

Quoiqu’il en soit, le petit anneau se tient ce soir lové dans le creux de ma main. Je le regarde, j’entends la mer sans même tendre l’oreille, le vent se lève.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Perle
Posté le 25/06/2020
Les changements de lieu ne sont pas faciles à gérer pour garder une esthétique et une atmosphère cohérente tout au long du roman, mais là j’ai trouvé ça très réussi ! Le rappel de la mer au tout début et à la toute fin est intelligent parce qu’il permet de faire le lien (et même le mot « perle »/« perlé » qui revient, et nous ramène au champ lexical).

Tes descriptions sont toujours aussi belles et efficaces, j’adore cette phrase : « La coupole est toujours aussi belle, posée comme une grosse fleur de verre sur son bouquet d’étages, de lumières et de décorations de Noël. »

Et j’imagine qu’on va avoir la fête de Noël, je file lire la suite !

(Aussi : « toute excitée » → tout excitée car tout est ici un adverbe, donc invariable)
ZouwuGirl
Posté le 28/06/2020
Alors d'abord, merci beaucoup de ton passage Perle!!

J'espère que les changements de lieux dans les autres chapitres ne te dérangent pas trop non plus, en tout cas je suis très heureuse que celui-ci t'aies autant plu!
Par rapport aux descriptions, ce que tu me dis me fait trop plaisir, vraiment merci!!

Et oui hehe la fête de Noël arrive juste après, c'est un chapitre que j'aime bcp d'ailleurs!

A bientôt ;))

(je vais m'occuper de ça de suite haha merci!!)
Perle
Posté le 29/06/2020
Oh oui les autres m'ont plu aussi, comme celui-ci était plus marqué j'ai vraiment été impressionnée par la manière dont tu as géré !!
ZouwuGirl
Posté le 05/07/2020
*_____* Merci merci mercii c'est super encourageant!!!
AdharA
Posté le 24/05/2020
Saluut!!
Bon ça y est je suis in love de Jean hehe (les cheveux ébouriffés comme James Potter omg)
C'était un joli chapitre, ton écriture est vraiment très agréable!
ZouwuGirl
Posté le 30/05/2020
Hello!!
Merci beaucoup d'avoir lu, c'est toujours un plaisir de recevoir tes commentaires!
Haha mission réussie pour la description de Jean alors
Vous lisez