15. 1941

Notes de l’auteur : Janvier 1941

Je n'ai jamais aimé les adieux, jamais. Petite, maman me disait souvent que pour savoir se retrouver, il faut savoir se quitter. Je trouvais ça idiot et stupide. Parce que je ne voulais tout simplement pas que l'on me quitte. Je ne voulais pas être seule à nouveau. Je ne veux plus être seule à nouveau.

Alors je suis restée plantée là, les yeux rivés vers son sac tandis qu'il pliait ses chemises. Je suis restée plantée là, à le regarder partir.

Encore une fois. Rien n'a changé depuis ce jour-là.

Nos regards se croisent et s'entrecroisent comme si un seul coup d'œil pouvait nous permettre de lire à travers l'autre. Ses pensées, ses mots. Comme si les yeux de l'autre devenaient soudainement le reflet de ses mots. Si je ne lâche pas le sac de Thomas des yeux, lui ne me lâche pas non plus. À chaque aller-retour près de la porte, vers la commode, il me regarde. J'aperçois brièvement ses lèvres s'entrouvrir puis se refermer comme si aucun mot ne voulait s'en échapper.

Thomas ne sait pas quoi dire et moi non plus.

On se contente de rester muets dans notre silence, ratant certainement les derniers moments que l'on pourrait passer ensemble.

Les derniers moments... Non.

— Où vas-tu cette fois ?

À ma question, son corps se fige dans ses mouvements. Il s'arrête. Pose une paire de chaussettes à côté de lui et se retourne vers moi, sortant une lettre de sa poche.

— Je retourne à Londres.

Rien que d'entendre « Londres », un frisson me parcourt. Un courant d'air glacial me traverse tel un poignard.

— Oh... Je vois.

Non. En fait, je ne vois rien. Je ne comprends pas pourquoi il y retourne. Pourquoi est-il encore obligé de se sacrifier ? Pourquoi lui ? Pourquoi Thomas ? Pourquoi mon Thomas ? S'il vous plaît... Tout, mais pas lui.

— Et toi ? Que vas-tu faire maintenant ? Tu vas rester ici avec Antoine ?

La question qui fâche. Pourtant, je n'y ai même pas réfléchi encore. Je pensais que j'avais encore quelques jours, quelques semaines devant moi pour y penser, mais le temps avec Thomas est passé trop vite. Tout est allé trop vite.

— Je n'en sais rien. Je ne crois pas. Je pense qu'Antoine va vouloir bouger. Aller plus à l'ouest... Apparemment, il y aurait un groupe là-bas aussi. Un peu de soutien ne sera pas de refus.
— Donc tu t'engages dans cette voie-là ? Es-tu sûre de toi, Élise ?
— À vrai dire ? Je ne suis sûre de rien du tout, mais ce n'est pas comme si je pouvais faire ma vie ici. Bientôt, ce village n'existera sûrement plus ou presque plus. Ils passeront par là. On le sait.

Je l'entends soupirer, je le vois hausser des épaules et se retourner, reprenant les affaires qu'il avait en cours. Thomas s'en fiche ? Non. Il y a quelque chose d'autre. Je sais, maintenant, qu'il n'aime pas quand je suis à proximité d'Antoine, mais il reste un ami qui m'est cher et les amis, en ces temps qui courent, sont un luxe que l'on ne peut plus refuser dès que ça nous tombe dessus. J'ai besoin d'Antoine pour survivre. Tout comme j'ai besoin de Thomas pour vivre.

Il marmonne quelque chose dans sa barbe et je ne parviens pas à identifier ses mots, puis il jette sa paire de chaussettes dans un « Fait chier ! », se retourne et m'enlace. Je sens ses doigts m'agripper comme s'il ne voulait plus me lâcher. Je sens son cœur tout contre le mien. Sa chaleur et cette sécurité qu'elle dégage.

— Viens avec moi !

Mon cœur vacille et au début, j'ai cru mal entendre ou mal interpréter ses propos. Je m'écarte, le regarde surprise tandis que je le vois rougir.

— Viens avec moi en Angleterre. C'est plus en sécurité qu'ici et puis tu pourras certainement trouver un petit coin tranquille.
— Mais que ferais-je là-bas ? Je veux dire... Ici, je suis un peu une sorte de touche-à-tout, mais là-bas ? 
— Tu pourras faire la même chose ! Et puis tu n'es pas obligée d'être aussi près du danger. Je n'aime pas te savoir là, dehors, à te cacher d'eux. 
— Mais je ne peux pas rester cachée toute ma vie, c'est lâche et tu le sais. Tu l'as dit toi-même, non ? Il y a des causes qui valent la peine que l'on se batte. Que fais-tu de mon envie de me battre à moi aussi ?
— Tu ne m'en as jamais parlé à ce que je sache...
— Peut-être parce que je savais quelle serait ta réaction ? 
— Écoute... Tout ce que je veux c'est que tu sois en sécurité. Est-ce trop demandé ? 
— Non, non, je comprends ton point de vue, mais j'aimerais que tu comprennes le mien aussi. 
— Alors, peut-on considérer que nous sommes dans une impasse ?

C'est vrai. Maintenant qu'il le soulève, je n'avais jamais vu les choses sous cet angle-là. Je n'y avais jamais vraiment réfléchi à vrai dire. Je voulais que Thomas reste à mes côtés, tout comme lui voulait la même chose de moi, mais ni lui ni moi ne pouvions vraiment nous le permettre.

Nous avions des choses à faire.
Des batailles à mener.
Une guerre à faire.

Alors, comprenant soudainement la situation, on s'est mis à rire. Il n'y avait rien de drôle dans toute cette histoire, mais étrangement, à ce moment-là, on s'est mis à rire. Peut-être parce que l'on pensait exactement la même chose ? Allez savoir.

« - Donc, je présume que l'on devra reprendre nos vieilles habitudes, hein ? »

Par « vieilles habitudes », je comprenais qu'il parlait de cet échange de courrier.

— Il faut croire que nous revoilà partis pour une année ! Reviendras-tu me voir ? 
— Dès que les circonstances me le permettront, je te le promets, je reviendrai. Je te reviendrai toujours. Quoi qu'il arrive, quoi qu'il advienne.
— Souviens-toi bien de cette promesse alors. Je te la ferai écrire un jour, tu verras !
— Je n'en doute pas. M'accompagnes-tu ?

Sac sur le dos, prêt à repartir une nouvelle fois, je ne pus m'empêcher de lui sauter au cou, m'accrochant désespérément à cette image que j'avais de lui. Il fallait que je m'en imprègne.

Car je n'étais pas près de revoir Thomas avec l'année qui allait arriver.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
MissRedInHell
Posté le 14/08/2020
Hey !

Cette séparation est quand même extrêmement douloureuse et forte. Je suis persuadée qu'ils vont continuer d'échanger, de se parler... Mais ça me brise quand même un peu le cœur. Parce qu'ils ne peuvent pas profiter éternellement de cette proximité je suppose. ;-;

Bref, je suis curieuse de la direction que tout ça va prendre c:
ManonSeguin
Posté le 16/08/2020
Je suis désolée pour ton petit coeur :) J'essayerais d'en prendre soin pour la suite même si je te laisse découvrir le reste <3
MissRedInHell
Posté le 16/08/2020
T'en fais pas, je survivrai <3
Et j'ai hâte héhé :D
Zoju
Posté le 10/08/2020
Salut ! Thomas va donc finalement repartir à Londres. D'un côté, j'étais contente qu'il propose enfin à Elise de l'accompagner et de l'autre que la jeune femme décide de continuer à se battre. On comprend les deux points de vue qui sont tous les deux légitimes. Comme dit dans ce chapitre, l'échange de lettres va donc reprendre. C'est un bon chapitre que l'on prend plaisir à lire. Il continue dans la suite logique de l'histoire et il est cohérent. Les dialogues sont bien dosés et on ne tombe pas selon moi dans le larmoyant. Ils vont continuer à se soutenir malgré la séparation et ça fait à voir. Curieuse de lire la suite ! :-)
ManonSeguin
Posté le 11/08/2020
J'essaye de maintenir un certain équilibre disons pour ne pas rentrer justement dans le larmoyant :) Je suis contente si ça te plaît ! Thomas repart et donc oui les lettres vont reprendre avec son départ, mais il y aura d'autres occasions pour Elise de briller également à travers des moments rien qu'à elle !
Vous lisez