14. Un jeune prodige de douze ans

Par Rachael

Ithéus, capitale d’Ione, deux mois plus tard.

 

Mu naviguait dans un labyrinthe de couloirs mornes, sous l’œil soupçonneux d’uniformes de toute sorte. Le Vieux Marp l’avait déposée du côté des arrivées de marchandises et elle devait rejoindre le flux des voyageurs. Taz avait tenu à mener sa fille à bon port, même s’il avait dû pour cela s’acquitter d’une bureaucratie tatillonne : autorisations de sortie de l’Alliance, sauf-conduit pour séjourner sur Ione, attestations de non-détention de systèmes d’armes, etc. Sans fin, avait-il maugréé. La suspicion de l’administration d’Ione confinait à la paranoïa.

Mu se retrouvait seule pour la première fois. Au moment des adieux, elle avait réussi à préserver les apparences, alors que Taz, Marsou et les marins du Vieux Marp faisaient des mines de dix parsecs de long. Elle était partie fièrement et ne s’était liquéfiée qu’une fois hors de vue ; son mouchoir détrempé de larmes en témoignait.

Après encore plusieurs passages dans divers détecteurs et décontaminateurs, Mu fut certifiée conforme aux critères d’admission des orteils à la tête et elle atteignit le hall principal du spatioport. L’immense salle aux larges volumes et au plafond transparent la mit mal à l’aise. La perspective, combinée à la gravité locale, lui donnait le tournis. Elle se sentit perdue et chercha dans la foule un visage connu. Une toute petite fille lui adressait des signes frénétiques.

— Mu, Mu !

Elle répondit de la même façon : elle agita la main, puis replia les doigts l’un après l’autre. La femme noire distinguée qui tenait la menotte de la fillette les dirigea vers elle :

— Nous sommes ravis de te recevoir, Murcile.

Pff, un brin protocolaire, la famille d’accueil qu’elle avait trouvée ; mais le visage bienveillant réconforta Mu.

— Ilona, Mikka ! Je suis heureuse d’être là. Enfin !

Le sourire qui étira les lèvres de Mu n’était pas feint. Maintenant qu’elle était là, tout semblait possible. Jusqu’à imaginer que Keizo ait trouvé refuge à Ithéus.

 

¤¤¤

 

La capitale d’Ione comptait près de douze millions d’habitants. Elle avait enflé à mesure que la planète devenait le centre stratégique de l’hyperespace. Les collines du bord de mer avaient été colonisées au nord et au sud par la métropole, laquelle avait également grignoté la forêt vers l’intérieur des terres. Les Ioniens décrivaient d’ailleurs traditionnellement leur capitale en nombre de collines plutôt que d’habitants. On en était à trente et cela croissait toujours : Ithéus prospérait tandis que la guerre faisait rage tout autour.

Tout conflit nourrit des profiteurs, songea Bryn. Fraîchement débarqué du spatioport, il contemplait avec des sentiments mitigés et la ville et sa mission. La richesse ne rendait pas la cité plus élégante. Critique, le jeune espion survola les alentours du regard : les antiques bâtiments trapus du centre faisaient le gros dos en prévision de la prochaine tempête. Ces cubes sans grâce étaient construits en matériaux synthétiques si indestructibles qu’ils avaient résisté aux tempêtes, mais aussi au passage du temps. Certains avaient près de mille ans. Cela n’en faisait pas pour autant des monuments glorieux. Ils étaient laids. Laids et tristement fonctionnels, pensa Bryn, notables seulement par leur capacité à perdurer. De petits vieux rabougris et acariâtres.

Des ensembles élancés récents embellissaient pourtant le quartier du port. Des nouveau-nés, ceux-là : aucun ne dépassait les soixante ans, date de la dernière « Grande Trombe de mer ». Ils savaient déjà leurs jours comptés : à Ithéus, rien de ce qui s’élevait au-delà des dix étages ne survivait aux tempêtes séculaires.

Les collines ceinturant la ville basse éclataient de verdure. On aurait cru que la métropole s’arrêtait à leur pied, tant les résidences esquivaient le regard. Seules les lignes d’antiques funiculaires à crémaillère entrecoupaient la végétation policée. Une touche de folklore ou un nouveau rappel de l’endurance à toute épreuve de la cité et de ses habitants ?

Malgré son relatif dédain pour l’architecture locale, Bryn appréciait la balade : la gravité substandard, la température fraîche, l’air vivifiant qui ébouriffait ses cheveux, les effluves salins. Cette planète si dangereuse cachait bien son jeu en l’aguichant avec son profil le plus charmeur. Il déambulait à pied dans le centre historique, au nord des quais, et tâchait de retenir la configuration des rues et des places afin de se constituer sa propre cartographie de la ville.

Des véhicules de transport urbain – publics et gratuits – survolaient des boulevards d’une autre époque transformés en parcs et y déversaient leurs passagers. Bryn scrutait les visages, les comparait à ceux répertoriés dans ses implants mémoriels et lançait ses capteurs, afin de détecter les individus porteurs d’instrumentations sophistiquées. À première vue, on repérait les mêmes employés pressés qu’ailleurs, les mêmes étudiants bavards, les mêmes filles délurées qui le dévisageaient sans vergogne. Plus enjoués que dans l’Alliance, peut-être. Plus éloignés de la guerre. Négligeables, ceux-là. D’autres hommes ou femmes, a priori indiscernables des premiers, déclenchaient en revanche des alarmes. Un détail suffisait aux algorithmes de reconnaissance : leur façon de marcher, de se tenir ou de tourner la tête indiquait qu’ils n’étaient pas nés sous cette gravité. Leurs portraits s’empilaient dans les implants mémoriels de Bryn. Suspects. Au bout de quelques heures, il était fixé : même en tenant compte des potentielles fausses détections, la quantité d’espions dépassait de loin ce qui se faisait de pire n’importe où dans l’Alliance.

Charmant endroit ! Yalis ne s’y serait-il pas déjà fait repérer, s’il était venu là ? Comment Bryn allait-il faire mieux que les autres ?

 

¤¤¤

 

Mu avait un foutu caractère. Et elle n’en faisait qu’à sa tête. Voilà ce que disait Taz, avec un soupir qui déguisait sa fierté devant la capacité de sa fille à aller jusqu’au bout de ses ambitions. Traduction signée Marsou, car son père n’avait évoqué ni fierté ni quoi que ce soit du même acabit. Il faisait plutôt dans la grogne et la critique, les semaines avant le départ de Mu. Le petit lieutenant avait justifié ainsi à Mu les raisons des sautes d’humeur de son père : conflit entre fierté paternelle et peur de la perdre… Marsou, le psychologue de service…

Mu était loin de se considérer comme héroïque. Tête baissée pour échapper au ciel étranger d’Ione qui l’oppressait, elle aurait apprécié la compagnie de son père, même en mode ronchon. D’ailleurs, Marsou ou Taz, les deux compères manquaient à la jeune fille à parts égales.

Elle se réjouissait pourtant de s’être obstinée. Au bout de neuf mois d’efforts, elle goûtait le plaisir de se rapprocher de son but. Tant mieux si la Grande Mère l’avait favorisée, ainsi que l’avait affirmé Marsou, toujours plus imprégné de mysticisme. Tiens, plutôt que le petit Marsou, elle devrait l’appeler le pieux Marsou, pour le faire enrager.

Recueillie et pas loin elle-même de remercier les puissances divines, elle découvrait la ville, debout sur le toit de la maison de sa famille ionienne. Sa position aurait paru curieuse partout ailleurs, mais pas ici : bon nombre de bâtiments à Ithéus étaient au moins partiellement enterrés pour résister aux tempêtes et leurs toits transformés en jardins.

De son perchoir, Mu jouissait d’une vue sur le moutonnement des collines qui abritaient la métropole. Celle-ci ne ressemblait en rien à ce qu’elle attendait d’une ville. Évidemment, son expérience en la matière restait limitée à ce jour. La plupart du temps, où qu’il se rende, le Vieux Marp se contentait de larguer sa cargaison aux docks spatiaux militaires en orbite, puis il se ravitaillait là. Personne ne mettait les pieds en bas, sur le sol de la planète. Et les rares fois où cela s’était produit, Mu n’avait eu droit qu’à de brèves virées dans des zones industrielles miteuses, à la recherche de pièces pour le Vieux. Non, elle devait bien admettre qu’excepté par l’intermédiaire d’un écran, elle ne connaissait pas grand-chose.

Elle entendait bien se lancer corps et âme dans l’exploration de la capitale planétaire. Les transports antigrav en libre-service y étaient entièrement gratuits ; navettes individuelles ou collectives survolaient de larges avenues plantées de végétation basse. C’était une planète prospère, pensa Mu avec un peu d’envie, où les gens ne devaient pas compter que sur eux-mêmes, comme là d’où elle venait. Sauf que ce n’était pas qu’une question de richesse. La solidarité était enracinée dans la culture : sans des infrastructures partagées comme les abris anti-tempête pressurisés, probablement les Ioniens n’auraient-ils pas survécu…

Ithéus. On aurait dit un gigantesque parc en terrasse. Luxuriant, magnifique, ruisselant de couleurs. Sous la chaleur de ce milieu de journée, Mu distinguait surtout des forêts de longues tiges vert clair caressées par la brise et la mer moutonneuse tout en bas. Les habitants aisés, comme la famille de Mikka, construisaient leurs demeures sur les collines proches des flots ; certains possédaient des embarcadères privés ou même des plages miniatures.

Écrasée par l’immensité de la perspective et par l’opulence autour d’elle, Mu croisait les doigts et se murmurait à elle-même des formules d’encouragement.

 

¤¤¤

 

Bryn avait posé ses valises à Ithéus après une entrée en toute clandestinité. Les autorités locales, soucieuses de leur tranquillité, n’auraient jamais laissé pénétrer quelqu’un muni de systèmes aussi élaborés. Sur Ione, les belligérants continuaient de mener leur guerre en cachette, avec un équipement réduit. On s’espionnait avec retenue et on s’entre-tuait avec discrétion, sans fracas inconvenant. Cette fois-ci ferait peut-être exception.

Les attendus de sa mission n’avaient presque pas changé : protéger Yalis, l’approcher, le ramener. Le « presque » était d’importance : si le maintenir en vie gardait la préséance, l’objectif était désormais de revenir avec lui. Bryn aurait aimé abandonner à sa hiérarchie la délicate tâche de persuader un ultra que l’Alliance qui combattait ses semblables depuis deux siècles et demi méritait son aide. L’argumentaire qu’on lui avait fourni ne l’avait pas convaincu lui-même. On verrait le moment venu : Bryn possédait quelques autres atouts, comme la chaleur d’une main, la douceur d’un effleurement ou la coupable confusion de ses sentiments. Une confusion toujours extrême : comment pouvait-il continuer à croire que les ultras étaient dénués de sentiments, puisque précisément, on comptait sur ceux qu’il inspirait à Yalis pour l’amener de leur côté ? Humain, Yalis ? Jusqu’à quel point ?

D’autres agents avaient rejoint Bryn : deux hommes et deux femmes entrés aussi clandestinement que lui, au péril des relations diplomatiques avec Ione. Surentraînés et instrumentés avec les derniers systèmes d’armes : des soldats d’élite, plus machines qu’humains. Il fallait y ajouter ceux déjà dans la place, qui les assistaient dans les tâches de repérage ou de surveillance.

Pour le repérage, c’était simple. Cible principale : Yalis ; cibles de second plan : tous les espions de l’autre camp qu’on localiserait.

Côté surveillance : les responsables de la Fondation Ardéirim, que la cible principale pourrait tenter de contacter, et bien sûr la fille. La jeune fille, celle qui avait veillé sur Yalis à son réveil sur le vieux vaisseau. La famille qui l’accueillait à Ithéus travaillait pour l’Alliance. Ils suivaient leurs propres ordres, où figurait en priorité une discrète surveillance de la demoiselle.

 

¤¤¤

 

Après son arrivée, il fallut trois jours à Mu pour démêler la logistique de sa nouvelle vie : régularisation de tous ses documents administratifs, négociation de contrats locaux pour ses implants, confirmation de son inscription à l’université, choix des horaires des cours et organisation de son travail au profit de la petite Mikka. Ces quelques heures de garde quotidiennes lui assuraient le gîte et le couvert et augmenteraient ses moyens matériels limités.

Il y avait tant à faire qu’elle n’eut pas le loisir de se sentir perdue ou déphasée. Elle acheta des vêtements et un passage chez le coiffeur la rendit moins ébouriffée et plus proche de la mode ionienne, ses cheveux crépus arrangés en larges nattes torsadées. Elle grappilla au passage quelques heures pour explorer son nouvel univers : elle arpenta nez au vent les galeries couvertes du centre, papillonna de vitrine en vitrine, les yeux écarquillés malgré elle devant la variété des produits et l’exotisme des jeunes gens qui se bousculaient dans les venelles. Ils parlaient et riaient fort, portaient des habits colorés et semblaient n’avoir d’autres soucis que de briller en bonne compagnie.

Le quatrième jour sur Ione, Mu revint à ses moutons : son enquête. Ses enquêtes plutôt : un, découvrir qui était Keizo ; deux, le localiser.

Chaque chose en son heure.

Installée à l’université, elle entama ses investigations. Elle ne faisait rien qui relevât de l’espionnage. Pas encore.

Elle s’était inscrite à un cours sur les fondements mathématiques de l’hyperespace. Elle doutait d’en comprendre la première équation, mais cela fournissait la couverture idéale. Ainsi personne ne s’étonnerait qu’elle consulte de vieilles archives sur l’histoire de l’hyperespace. Elle ne cherchait d’ailleurs rien de très confidentiel. Juste davantage de détails que ce qu’elle connaissait par les encyclopédies générales. Elle n’espérait rien trouver de décisif, pas déjà ; néanmoins, il fallait bien un point de départ, et elle restait persuadée que l’hyperespace constituait la clé.

Sous ses yeux, des faits, des dates : premiers articles scientifiques, premières applications spatiales, premiers vaisseaux, premiers terminaux terrestres de fret…

Ces derniers fascinaient Mu, en particulier les immenses arches hyperspatiales qui permettaient d’envoyer des quantités faramineuses de marchandises depuis le sol des planètes, d’un bout à l’autre de l’univers. Dommage qu’on ne puisse pas les utiliser pour les voyageurs. Pas assez fiable : si on pouvait accepter un taux de perte pour les marchandises, il en allait tout autrement pour les humains. Mu aurait bien aimé en visiter une ici, à Ithéus. En tout cas, cela faisait partie de ses priorités.

Elle revint à sa lecture. Tout était allé très vite, en une trentaine d’années : c’était peut-être le plus surprenant ou remarquable. Sinon, rien de très passionnant ; le texte faillit lui décrocher la mâchoire par sa platitude incroyable. Comment pouvait-on rendre compte d’un tel sujet d’une manière aussi ennuyeuse ? Sans compter que le document n’évoquait aucune des personnes qui avaient contribué à cette aventure scientifique. Choc culturel ? À coup sûr. Dans l’Alliance, on présentait les choses de façon différente : moins détaillée peut-être, mais infiniment plus engageante.

Mu grinça des dents. Oui, sauf que dans l’Alliance, les renseignements qu’elle cherchait avaient été escamotés. Si Taz avait simplement haussé les épaules devant son indignation, Marsou lui avait appris un mot pour cela : censure. Quelle qu’en fût la raison, le gouvernement de l’Alliance dissimulait de l’information ; pire, il la contrôlait, et si « on » jouait à cela, avait dit Marsou, comment s’assurer que tout ce qu’on lisait n’était pas arrangé, détourné, falsifié ? Faux, oui, faux ! Saisissant l’occasion, Mu n’avait pas manqué d’enfoncer le clou : « ce qu’on explique sur les télépathes, Marsou, comment savoir si c’est juste ? ». Il l’avait fixée avec des yeux écarquillés qui lui mangeaient tout le visage, si bien que Mu s’était sentie fière d’avoir instillé ne fût-ce qu’une once de doute dans son esprit.

Après ces premières recherches, elle questionna le soir même Ilona, la mère de Mikka, avec qui elle s’entendait très bien. Mu n’avait jamais fréquenté beaucoup de femmes – le Vieux Marp était exclusivement une affaire de bonshommes –, cependant tout allait pour le mieux avec Ilona. Elle soulignait toujours leurs points communs plutôt que leurs différences dans l’optique de la mettre à l’aise.

— On parle jamais… On ne parle jamais des grands personnages chez vous ? s’enquit Mu. Je veux dire… des gens qui ont contribué à l’histoire, je ne sais pas, les hommes politiques marquants, les scientifiques majeurs ?

Ilona rit avec naturel :

— C’est drôle, tu n’es pas la première étrangère qui me pose la question. Nous n’avons pas le culte de la personnalité ici. On estime que ceux qui ont participé par exemple aux avancées sociales ont des mérites individuels, certes, mais sont aussi des produits de leur société. Ils n’auraient pas pu exister sans tous les autres autour d’eux.

Elle dessina un cercle avec ses bras pour illustrer son propos et conclut :

— Alors on les connaît, on les considère, mais on ne les adule pas comme cela se pratique ailleurs. Ils restent humains, ils gardent le droit à leur vie privée, à une certaine discrétion.

— Oui, mais pour ceux du passé, objecta Mu, cette question de vie privée, ce n’est plus d’actualité ! J’aimerais savoir quels ont été les explorateurs de cette planète ou les premiers hommes qui ont voyagé dans l’hyperespace.

Ilona acquiesça. Elle comprenait.

— Cette réticence pousse parfois à trop de modestie, si bien qu’on oublie facilement que certaines personnes ont eu des existences extraordinaires.

Mu hocha la tête avec emphase :

— C’est ça ; chez nous, on raconte souvent les événements au travers des gens qui les ont vécus.

— On ne fait pas trop cela ici. C’est sûrement un tort, cela rendrait ces histoires plus proches de nous.

Oui, bon, ça n’avançait pas beaucoup Mu, qui ne voyait pas comment progresser dans ses recherches sur Keizo si personne ne parlait des figures du passé.

— Pourquoi ne vas-tu pas visiter la Fondation Ardéirim ? Tu pourrais y aller avec Mikka ? Il y a toute une zone consacrée à l’époque des grandes découvertes : celle de l’hyperespace et celles des planètes habitables qui ont suivi. Une partie de l’exposition rend hommage aux hommes qui ont rendu cela possible.

Elle fronça les sourcils et rit de nouveau.

— La Fondation ne fait jamais les choses exactement comme tout le monde.

 

¤¤¤

 

Dès qu’elle en eut le loisir, Mu entreprit une visite à la Fondation Ardéirim. Elle se réjouit que ses recherches l’amènent là plutôt qu’ailleurs. Un lieu mythique entre tous, qu’elle avait mis en haut de sa liste de souhaits, une fois réglée la logistique de sa nouvelle vie.

Dans le brouhaha et la cohue de la file de visiteurs où beaucoup d’enfants chahutaient, Mu se concentrait sur une seule tâche : respirer calmement. La foule ou le bruit l’indifférait, mais le ciel l’angoissait.

Depuis son arrivée sur Ione, elle avait tenté de rester autant que possible à intérieur, entre quatre murs, avec un toit sur la tête. Après tout, elle avait été élevée et avait toujours vécu dans des espaces confinés, où l’on se sentait à l’abri, bien emmitouflé dans une coque protectrice quasi indestructible. Ici, le ciel sans limites, les places publiques immenses et la mer infinie la laissaient hagarde, anxieuse de retrouver le confort des constructions humaines. C’était déjà moins pénible que les premiers moments, néanmoins elle doutait de s’y habituer un jour totalement. Depuis qu’elle marchait sous le ciel d’une planète, elle se voyait comme une vraie fille de l’espace.

— Eh, Mu, tu crois qu’il y aura des jeux dedans ? fit la petite.

— Peut-être ; sinon, on filera ensuite au parc. Ça te va ?

— Ça me va.

On pouvait compter sur Mikka pour la ramener à des choses simples. Mu s’était prise d’affection pour cette petite en moins de rien. Elle se débrouillait bien avec elle, comme si elle avait engrangé toute l’expérience nécessaire avec Keizo sur le Vieux Marp, du temps où il réapprenait tout, aussi pataud et enfantin que Mikka avec ses quatre ans.

L’attente prit bientôt fin quand une nouvelle fournée de visiteurs fut invitée à entrer. Mu s’engouffra à l’intérieur avec soulagement. On ne parcourait pas vraiment la Fondation – que Mu imaginait emplie de savants industrieux –, mais un musée de la colonisation de l’espace. Une partie était consacrée à l’histoire de la Fondation et des grandes découvertes.

Mu se laissa guider vers les zones spécialement aménagées pour les jeunes enfants. On y naviguait au milieu de systèmes stellaires étranges, on marchait sur d’insolites planètes, on testait des gravités différentes, des lumières au spectre inhabituel. Presque mieux qu’en vrai. On pouvait comprendre que les planétiens d’ici se divertissent de promenades dans l’espace ou sur d’autres planètes, se dit Mu, amusée.

Après la visite, elle déposa pour une demi-heure une Mikka surexcitée dans une salle de jeu colorée conçue pour les bambins, sous la surveillance d’une équipe d’animateurs.

Curieuse, elle se dirigea vers la partie consacrée à l’histoire. Elle en apprécia le calme, en l’absence de troupeaux d’enfants turbulents. Elle en éprouva vite aussi les limites : hormis les portraits des directeurs de la Fondation légendés de notices indigestes, on ne trouvait que des listes de noms et de dates. Décidément, ces Ioniens ne brillaient pas par leur mise en valeur des individus.

Passablement agacée, comme il ne lui restait qu’un quart d’heure, Mu pénétra au pas de charge dans l’autre salle, qu’elle avait d’abord délaissée : « découverte de l’hyperespace ».

Elle continua sur son élan et se retrouva presque au centre. À côté d’un texte dont les mots se brouillaient, une large photo en face de l’entrée la stoppa net. Un garçon d’une douzaine d’années la regardait avec une mine espiègle. Elle fit un tour sur elle-même, encerclée par le même visage à différents âges, dans divers contextes, avec des expressions variées. Le cœur battant au fond de ses oreilles, elle s’approcha et déchiffra le titre du premier encart : découverte de l’hyperespace, Eshan Ardéirim, un jeune prodige de douze ans.

Partout dans la salle, en une démultiplication vertigineuse, les murs lui renvoyaient l’image de Keizo.

Les jambes de Mu se dérobèrent.

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aranck
Posté le 05/11/2019
Alors j’ai lu en diagonale les autres commentaires, et je vais être la seule à te dire que je trouve ce chapitre un tantinet trop long (surtout le second paragraphe) avec de très nombreuses descriptions (qui pourraient peut-être être distillées sur plusieurs chapitres) et et de très nombreux détails ou explications qui (mais ce n’est que moi) m’ont un peu déconcentrée.
Je me demande si tu n’aurais pas intérêt à couper ce chapitre en deux parties, mais du coup l’entrelacement « Mu/Bryn » risque d’en pâtir. Surtout que j’aime beaucoup cette double focale (Mu et Bryn) (t’as vu, je parle comme Gallimard !). Tous deux cherchent Keizo et avancent de leur côté et je me demande s’ils ne vont pas finir par se rencontrer.
J’aime beaucoup le paragraphe sur la censure et la désinformation, ainsi que la réaction de Marsou. Mu est vraiment très fine dans ses raisonnements.
Les pratiques d’espionnages sont aussi très intéressantes (et en bon soldat Bryn note tout ce qu’il trouve.)
Et on découvre enfin le véritable nom de Keizo et son rôle crucial dans la découverte de l’hyperespace. Qu’il fut un jeune prodige n’est d’ailleurs pas étonnant.
Et j’ajoute que je plussoie Aliceetlescrayons sur la rencontre avec sa famille d’accueil.
Comme d’hab, si tu veux plus d’explications ou si tu veux en parler, pas de soucis !

Qq remarques :

« sous l’œil soupçonneux d’uniformes de toute sorte » je comprends l’image et l’effet recherché, mais ça m’a fait bizarre (j’ai vu des uniformes sans personne dedans… avec un oeil planté dans les casquettes)

«  puis replia les doigts l’un après l’autre. » ce détail est-il nécessaire, surtout que je ne visualise pas trop.

« Pff, un brin protocolaire, la famille d’accueil qu’elle avait trouvée ; mais le visage bienveillant réconforta Mu. » Ça change de style…

« La capitale d’Ione comptait près de douze millions d’habitants. Elle avait enflé à mesure que la planète devenait le centre stratégique de l’hyperes […]Tout conflit nourrit des profiteurs, songea Bryn. Fraîchement débarqué du spatioport, il contemplait avec des sentiments mitigés et la ville et sa mission. » Malgré les étoiles, la transition entre la première partie et ce début est un peu abrupte. Pourquoi ne pas commencer par la seconde phrase « Tout conflit nourrit des profiteurs, songea Bryn. Fraîchement débarqué du spatioport, il contemplait avec des sentiments mitigés et la ville et sa mission. » de façon à ce qu’on comprenne bien qu’on passe à présent à Bryn.

« La richesse ne rendait pas la première plus élégante » la première quoi ? Je suppose que c’est la ville, mais pourquoi ne pas mettre « la cité », car le fait que tu ailles à la ligne ne permet pas l’enchaînement d’idées.

« les antiques bâtiments trapus du centre faisaient le gros dos en prévision de la prochaine tempête. » Là encore je comprends l’image, mais je ne suis pas certaine que ce soit approprié. Que les bâtiments aient été construits en prévision des tempête, c’est ok, mais là, je me demande carrément s’ils sont vivants et une fois encore l’effet de style recherché me fait une drôle d’impression.

« Des nouveau-nés, tous ceux-là » J’ôterai le « tous »

« Ils n’auraient pas pu exister sans tous les autres autour d’eux, si tu veux. » J’ôterai le si tu veux
Rachael
Posté le 05/11/2019
Il est vrai que ce chapitre est plus long que les autres, et un peu plus descriptif aussi. Mais je ne me voit pas le couper en deux, il a une unité tel quel.
Quand tu parles du second paragraphe, c'est lequel ? (Mu se retrouvait seule pour la première fois?)
Pour la famille d'accueil, qu'est-ce que tu veux dire ?
Merci pour les détails.
aranck
Posté le 06/11/2019
Il s'agit en fait de la deuxième partie de ce chapitre, excuse-moi d'avoir parlé de paragraphe. Celle où Bryn entre en action, celle que je trouve trop descriptive.
Pour la famille d'accueil, je pensais comme Alice que Mu l'avait déjà rencontrée avant et qu'elle connaissait la petite (sur laquelle pour le coup, il manque quelques détails pour qu'on comprenne très vite quel âge elle a). Pour le coup, leur rencontre à toutes les trois est vraiment très rapide et même si elles ne s'éternisent pas, il pourrait y avoir quelques réflexions de Mu supplémentaires au sujet des deux autres qui nous permettrait de mieux les visualiser ?
Si tu ne coupes pas en deux, ce que je comprends parfaitement, es-tu obligée de garder toutes ces descriptions ? Mu ou quelqu'un d'autre pourrait découvrir des aspects de la ville plus tard pour éviter d'allonger ce chapitre ?
Rachael
Posté le 06/11/2019
Ah, OK, je vois où c'est trop descriptif. Je vais voir si je peux mettre une partie de ces descriptions plus tard ou les alléger.
Pour la famille, tu as raison, une ou deux phrases pourrait suffire pour éclaircir cette rencontre.
Merci !
Keina
Posté le 18/08/2019
Coucou! Je teste la lecture NFPA avec la suite du vieux Marp... C'est cool de retrouver les personnages, surtout Mu, qui m'avait manquée ! 😊 Chapitre plaisant et facile à lire, même après une longue interruption ! Les points de vue entrelacés de Mu et Bryn tous deux à la recherche de Keizo permettent de bien se remettre l'intrigue en tête. Et la révélation finale... Alors ça ! Donc Keizo n'était pas n'importe qui dans le passé ! J'ai hâte de savoir quelle implication ça aura sur la suite! À très vite!
Rachael
Posté le 18/08/2019
Ah, ah, c'est chouette, non, l'ergonomie du nouveau site ? Je suis contente de te revoir par ici. Du coup ton interruption coïncide avec le saut dans le temps et le changement de lieu de l'histoire. Tant mieux si on "raccroche" facilement avec l'histoire, tu verras que les implications vont être importantes !
Fannie
Posté le 17/06/2019
À dire que malgré tous ces contrôles, des gens arrivent encore à entrer avec des appareils de surveillance... Si les belligérants mènent leur guerre en cachette sur Ione, ça la rend dangereuse pour les télépathes alors qu’elle serait censée être un refuge pour eux. (Il faut tous les mettre en prison, ces vilains ! ;-) )
Finalement, ce n’est pas si difficile de retrouver l’identité de Yalis/Keizo. (Et même le nom sous lequel je l’ai connu avant n’est pas le vrai...) Ou ça va être difficile pour lui de rester caché, ou sa présence dans cette époque est tellement improbable aux yeux de ses poursuivants qu’ils le prennent pour un sosie… Si ça se trouve, il y a très peu de gens qui se soucient des célébrités d’autrefois et qui entrent dans cette pièce.
Après une introduction presque froide, la famille d’accueil a l’air plutôt sympa.
Sais-tu qu’Ilona est un prénom hongrois, l’équivalent d’Hélène ? C’était le prénom de ma grand-mère. :-)
Coquilles et remarques :
Laids et tristement fonctionnel [fonctionnels]
on s'entretuait avec discrétion [C’est la graphie rectifiée ; la graphie classique est « on s'entre-tuait ».]
Cela faisait tant à faire [Pour éviter la répétition du verbe faire : « Il y avait tant à faire » ou « Cela lui donnait tant à faire », peut-être ?]
Il l'avait fixé avec des yeux écarquillés [fixée]
Ilona rit avec naturel ; [deux points ?]
une fois réglée la logistique de se nouvelle vie [sa]
Rachael
Posté le 17/06/2019
Oh, mais c'est agaçant toutes ces coquilles ! heureusement que tu es là ! Oh là là, que c'est moche "cela faisait tant à faire". C'est marrant comme je peux relire ce genre de choses sans sursauter...
Ilona, je savais que cela existait comme prénom, mais pas que c'était hongrois. Joli prénom !
Les belligérants ne mènent pas leur guerre sur Ione, pour ne pas irriter les Ioniens, mais ils s'espionnent à tout va ! 
Pour le nom, c'est de ma faute, il y a eu deux versions...
Il est exact que les gens d'Ione ne se soucient pas vraiment des personnalités historiques.  
Merci ! 
Aliceetlescrayons
Posté le 28/06/2019
On sent que le filet commence à se resserrer autour de Keizo (je vais garder ce nom-là pour le moment ;p)<br /> J’ai eu un moment de flottement par-rapport à la famille d’accueil de Mu. Je m’explique : lorsqu’elle arrive au spatio-port, la rencontre avec la maman et sa fille suggérait qu’elles se connaissaient déjà toutes les trois (la petite qui appelle Mu par son surnom, le fait que Mu les appelle direct par leur prénom…) Ensuite, quand Bryn donne l’info que la famille est, en fait, à la solde de l’Alliance, ça a fait un décalage.<br /> Concernant la petite Mikka, c’est marrant mais ça m’a étonnée qu’elle n’ait que quatre ans. D’emblée, je l’ai imaginée plus âgée (plutôt 8-10 ans, en fait…) Je ne saurais pas dire à quoi ça tient mais le peu qu’on voit d’elle ne suggère pas assez la toute petite fille qu’elle est censée être, j’ai l’impression.
Rachael
Posté le 28/06/2019
Merci pour ton impression de flottement. Je crois qu'il va falloir que je rajoute quelques explications, et que je précise plus vite l'âge de Mika 
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