14. Isolement

Par tiyphe
Notes de l’auteur : /!\ Ce chapitre peut heurter la sensibilité des plus jeunes /!\

Jacques

Jacques et Tom cherchèrent dans une grande partie du château. C’est dans les cuisines qu’ils trouvèrent finalement Monsieur Bill, sur une étagère. La pièce était peu utilisée, mais Jeanne l’avait construite à son arrivée. C’était un endroit où elle aimait se réfugier, seule, avait-elle raconté à Jacques. Il savait qu’elle y préparait des pâtisseries lorsqu’elle avait un moment à elle, essayant sûrement de se rappeler les douces saveurs des desserts qu’elle aimait tant.

Tom se jeta sur son ourson et remercia généreusement le Grand Occupant. Ce dernier sourit de la naïveté du garçon. Il n’avait même pas remarqué la copie de la peluche, alors qu’il avait refusé celles de son frère et n’avait pas réussi à en reproduire une seule, soi-disant à cause de ses émotions. À ce moment-là, Jacques eut des difficultés à comprendre les motivations du Mal. Comment allait-il apprendre à créer avec un enfant aussi inefficace ? Il s’en tint finalement à ses propres intentions, s’accroupit face au petit et lui expliqua d’une voix calme et rassurante :

— J’ai croisé Jeanne tout à l’heure.

Faux.

— Elle veut continuer votre formation, la tienne et celle de Lucas.

Contrevérité.

— Pour cela, elle souhaite que nous nous retrouvions au bâtiment de la Création.

Mensonge.

— Ton frère est en train de s’amuser, il nous rejoindra demain à l’aube de la lumière.

Fabulation.

— Je vais t’y emmener cette nuit. Lucas pourra alors profiter de sa soirée.

Hypocrisie.

Tom regarda l’homme avec de larges yeux. Il sembla réfléchir un instant avant de hocher la tête. Le Grand Occupant s’étonna une nouvelle fois de la crédulité du gamin. Il haussa les épaules discrètement, rassuré de ne pas devoir utiliser la méthode forte. Si tout se passait bien, il restituerait l’enfant à son frère dans quelques semaines. Et qu’était-ce que quelques semaines dans une éternité ?

Ils sortirent à l’arrière du château où un parc s’étendait devant leurs yeux. De magnifiques parterres de fleurs bordaient l’allée centrale. Des arbres fruitiers, des palmiers, puis des haies de lauriers arpentaient le reste du jardin. Tout était fait de verre, même les citrons, les olives ou encore les cerises. Avec la lumière des lampadaires, les deux Occupants pouvaient apprécier au maximum les plantes rares et joliment travaillées.

L’obscurité était tombée sur l’Entre-Deux depuis quelques heures à présent. Jacques sentit la crainte du petit ; Tom resserrait son ourson contre lui alors que les ombres des arbres s’étiraient, peu rassurantes. Jacques, ayant connaissance de ces effrayants fantômes, eut pitié et lui prit la main. Ils arrivèrent au bout de l’allée où se trouvait le rempart arrière du château. Un portail, assez large pour faire passer un véhicule, était fermé. Jacques sortit une clé de sa poche intérieure et l’ouvrit. Il se tourna alors vers Tom.

— Nous allons nous amuser un peu, annonça-t-il.

Il entraîna le garçon vers un semblant de parking, à l’intérieur du rempart. Tom écarquilla ses yeux bleu foncé. L’homme était fier de lui montrer sa collection de voitures que Jeanne et lui s’étaient amusés à créer. Jacques était mort avant que le premier bolide n’existe, mais, après de longues discussions avec un pilote décédé dans un accident de course automobile, sa passion s’était développée. C’est donc avec l’aide du chauffeur et d’anciens mécaniciens que Jeanne avait matérialisé tous ces bijoux, pièce par pièce, principalement pour l’homme aux lunettes rectangulaires et les amoureux de véhicules sportifs.

— Choisis-en une, petit, s’amusa-t-il.

Tom courut entre les limousines, cabriolets et autres berlines. Il était émerveillé. Cela se discernait sur son visage. Jacques se surprit à sourire en voyant la joie du garçon. Après avoir tourné plusieurs fois, il s’arrêta devant une et récita :

— Aston Martin Vanquish, éditions 2012, gris métallique, 576 chevaux.

— Connaisseur, apparemment, lâcha Jacques.

— Mon grand frère et Maman adorent les voitures, répondit l’enfant avec des étoiles dans les yeux.

L’homme et Tom s’installèrent dans le bolide sélectionné. Chaque détail laissait le petit interdit : le cuir des sièges, l’élégance du tableau de bord, la finesse de ses formes. Jacques démarra l’engin dans un agréable son de moteur et sortit tranquillement des remparts. Après avoir fermé à clé le portail, il insista sur l’accélérateur et s’élança sur la route. Tom était tellement concentré à réciter les options qu’il ne vit pas le chemin qu’empruntait l’homme.

— Elle roule à l’essence, monsieur, votre voiture ? demanda l’enfant, embarqué par un rêve devenu réalité.

Jacques réfléchit un instant au choix de ses mots. Il s’était lui-même intéressé à la construction de ses bolides et à leurs fonctionnements.

— Jeanne a réussi à matérialiser de l’essence en effet, expliqua-t-il. Mais avec le temps, des ingénieurs ont rendu les voitures automatiques. Avec l’aide des Créatrices, la majorité des appareils électriques de ton ancien monde tourne tout seul, un peu comme par magie. Je pense que c’est leur volonté qui fait qu’elles peuvent fabriquer ce genre de choses, ou alors elles imaginent des générateurs d’énergie infinis. Je ne connais pas tous leurs secrets.

Apparemment satisfait de la réponse, Tom se reconcentra sur l’habitacle. Après une demi-heure à 310 km/h, l’engin ralentit près d’une maison bourgeoise qui se trouvait au milieu de nulle part. Ils entrèrent dans la pièce principale éclairée d’un simple lustre. Tout était rustique, le bâtiment, les meubles, la décoration. Le Grand Occupant avait été aidé par des ouvriers qui étaient les seuls, avec lui, à connaître son emplacement, au Nord-Est au-delà du dortoir. Si loin des autres habitations qu’ils ne pouvaient être retrouvés.

L’homme emmena le garçon au deuxième étage de cette grande bâtisse. Au fond du couloir, il lui présenta sa chambre. Il lui conseilla de se reposer, même si l’un comme l’autre ne dormirait pas cette nuit. Jacques s’enferma alors dans son bureau jusqu’à ce que la lumière se lève de nouveau. Les pensées orientées vers son plan avec une question principale en tête pour devenir seul dirigeant de l’Entre-Deux : Qu’est-ce qui est plus terrifiant que la mort pour ceux qui le sont déjà ?

***

Tom

Cela faisait environ une semaine que Tom se trouvait avec Jacques dans cette grande maison ; une semaine qu’il attendait son frère tous les matins ; une semaine que l’adulte lui répétait qu’il allait sûrement bientôt arriver, qu’il avait dû rencontrer une femme. C’était de son âge, lui avait-il dit. À ses mots, l’enfant avait fait une grimace. Malgré les remontrances de sa maman, il trouvait que les filles n’étaient pas intéressantes. De son point de vue, elles affectionnaient les poupées ou se déguisaient en princesse, mais ne voulaient jamais jouer au football avec les garçons. Tom n’aimait pas les filles. Il se rappela s’être fait gronder par ses parents pour avoir tenu de tel propos. Son père avait utilisé le mot “sexisme”, mais il n’avait pas compris ce qu’on avait voulu lui dire. Un sanglot se coinça dans sa gorge, sa famille lui manquait tellement.

Tom commençait à devenir de plus en plus sceptique quant aux dires de Jacques. Jeanne était également censée venir, mais où était-elle ? Même si, finalement, l’homme s’était employé à lui apprendre à créer, ce n’était pas aussi amusant qu’avec Jeanne, ou avec son frère. Et tous les soirs, le Grand Occupant s’enfermait dans son bureau où il jurait d’innombrables fois, pendant que lui s’ennuyait.

Le garçon avait tout de même réussi à créer une télévision et une console. Mais il n’arrivait pas à fabriquer les jeux vidéo, il ne les connaissait pas assez bien, y penser ne suffisait pas. Il commençait à croire que son pouvoir n’était pas aussi puissant que celui de Lucas ou des deux femmes. Était-ce à cause de son jeune âge ? Il avait pourtant le sentiment qu’il pouvait faire quelque chose de différent, qu’il avait son propre don de la Création, que cela lui permettait de faire venir des choses vivantes. Il avait eu cette sensation en voyant apparaître la carpe dans le ruisseau, puis la cigogne qui lui avait pris son Monsieur Bill.

Pendant cette semaine, lorsque l’obscurité était tombée et que Jacques s’était rendu dans son bureau, Tom s’était installé dans sa chambre et avait tenté de matérialiser des objets beaucoup plus cool que ceux que lui demandait l’homme. Effectivement, les outils et les trucs dont il n’avait pas la connaissance, ou encore un puits, n’étaient pas amusants comparés aux jeux qu’il avait toujours rêvé d’avoir.

Ce soir-là, le huitième depuis son arrivée, il pensa à Croquette, le chat qu’ils avaient à la maison. Il lui manquait beaucoup. Lucas lui manquait, ses parents lui manquaient. Alors qu’une larme coulait de ses grands yeux bleus, il entendit un petit bruit. Il releva la tête vers le son. C’était dans la penderie où traînaient quelques vêtements qu’il avait réussis à former. Il ouvrit la porte et discerna comme un miaulement. Un élégant chat sortit du placard et sauta sur son lit.

— Croquette, s’exclama l’enfant.

Après un nouveau couinement plutôt mécontent, l’animal répondit :

— Bonjour, Tom.

Bouche bée, le garçon trébucha sur un jouet et tomba sur les fesses tandis que Croquette se léchait patiemment la patte. C’était un mâle élancé au pelage léopard, distingué et apparemment attentionné envers l’enfant.

— Tu... tu parles ? bégaya ce dernier.

Des yeux perçants se posèrent sur le petit. Les moustaches s’agitèrent et la bouche s’ouvrit alors qu’il répondait :

— Oui, Tom. Tu m’as amené ici ainsi. Je ne suis qu’une réplique de ton animal de compagnie qui, lui, est toujours sur Terre.

Sur le sol, l’enfant n’en croyait pas ses yeux. Il venait de créer un chat, un être vivant. Et il parlait. Jeanne lui avait pourtant dit que c’était impossible. Comment avait-il fait ? Il se releva et courut vers lui.

— Croquette ! s’égosilla-t-il.

Il prit le félin dans ses bras et le fit tournoyer. Le mâle miaula de peur. C’est alors qu’un Jacques furieux entra dans la pièce.

— C’est quoi ce b... ?

Les yeux de l’homme s’arrêtèrent sur l’animal lové contre Tom. Il bloqua un instant, surpris, ébahi, interloqué. Toutes ces émotions passèrent sur son visage. Il finit par fermer la bouche qu’il avait ouverte en grand. Il semblait décontenancé. Il balbutia :

— Est-ce... ? Est-il... ? Comment... ?

Inconscient de ce qu’il faisait, Tom fit un énorme sourire et tendit son chat devant lui.

— C’est Croquette, annonça-t-il fièrement. J’ai réussi à le faire venir.

— Cro...

Jacques secoua la tête et se frotta les yeux sous ses lunettes, comme pour être sûr qu’il ne rêvât pas.

— Même qu’il sait... Aïe, Croquette ! s’énerva le petit.

Le chat avait sauté des bras du garçon en le mordant au passage, le coupant dans sa phrase. Il lui lança un regard féroce et retroussa les babines en feulant. Tom comprit et se tut. Jacques dut sentir l’échange, car il interrogea d’un ton froid :

— Que sait-il ?

Tom ne se laissa pas déstabiliser et répondit du tac au tac, toujours le sourire aux lèvres :

— Il me reconnaît.

Le garçon ne sut pas si l’homme le crut, mais ce dernier n’insista pas. Il prétexta du travail avant de sortir de la chambre.

Le lendemain, Jacques revint avec une cage où il y enferma l’animal. Il menotta l’enfant au mur de la pièce et lui banda les yeux. Tom cria de douleur et de peur tandis que le Grand Occupant repartait avec le chat. Le jeune Créateur tenta de se libérer, mais ses émotions l’empêchèrent d’imaginer. Les mains attachées dans le dos et les paupières closes, il était incapable de créer.

— Lucas, aide-moi, murmura-t-il.

***

Jacques

Un chat. Le gamin avait fait apparaître un chat. Jacques faisait les cent pas dans son bureau. Comment cela pouvait-il être possible ? Il se posa la question, encore et encore. Mais comment cela pouvait-il être possible ? Les animaux, les êtres vivants, elles avaient essayé les Créatrices. Mais rien, juste une plume pour la Princesse, une fois. Comment cela pouvait-il être possible ? Il se concentra un instant, tenta de faire apparaître une hyène, une fouine, un rat. Pourquoi était-ce ces immondes créatures qui lui venaient en premier en tête ? Même le cafard, il ne réussit pas. Comment cela pouvait-il être possible ? La question résonnait dans son crâne alors qu’il marchait comme un lion en cage. Comment cela pouvait-il être possible ?

Il se rua dans la chambre du gamin. Ce dernier pleurait à chaudes larmes, mais l’homme ne s’en inquiéta pas. Il voulait des réponses.

— Comment c’est possible ? répéta-t-il à voix haute.

Tom renifla. Il sembla se calmer et, d’une petite voix enrouée par le chagrin, il risqua :

— De quoi vous parlez ?

Jacques, fou de colère et incontrôlable, ne prit aucune délicatesse lorsqu’il souleva le garçon pour le mettre debout. Ce dernier gémit de souffrance tandis que ses mains étaient tirées en arrière par les menottes accrochées au mur. Des larmes coulaient sous son bandeau qui cachait ses yeux.

— Comment as-tu fait apparaître un animal ? grogna le Grand Occupant.

Tom essayait de se débattre de l’emprise de son bourreau. Il geignait de douleur, mais Jacques n’en avait que faire. Il n’était plus lui-même. Il voulait des réponses.

— Tu sais Tom, nous sommes déjà morts, susurra-t-il d’un ton carnassier. Je ne peux te tuer de nouveau, mais je peux te faire mal, très mal.

Pour illustrer ses paroles, il tira sur les bras du garçon, qui hurla. Des traces rouges apparaissaient et disparaissaient sur ses poignets, qui étaient mutilés puis guérissaient. Mais Jacques ne s’y intéressa pas. Il voulait des réponses.

— À partir de maintenant tu vas m’obéir, grogna l’homme. Tu vas m’aider à fabriquer mon arme contre les Créatrices. Et si tu n’obtempères pas, je te ferai mal.

Alors qu’il allait quitter la pièce, le bourreau remarqua la peluche qu’il avait matérialisée au sol. Il s’en saisit et la déchira en plusieurs morceaux devant les cris de Tom. À ce moment-là, son âme n’avait jamais été aussi proche du Mal.

 ***

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Renarde
Posté le 11/08/2020
Coucou Tiyphe,

Je lis rapidement pour être prête pour vendredi ;-)

Sauf que là, je me devais de commenter... Quel s*l**d ce Jacques ! Sans compter que ce n'est pas très malin. Il ne va pas pouvoir séquestrer Tom indéfiniment et vu qu'il ne peut pas le tuer, ils vont bien finir par le trouver à un moment où à un autre.

Faut qu'en même être bien mauvais à la base pour s'en prendre à un enfant de la sorte, du coup je me demande pourquoi il n'a pas atterri directement en enfer, cela semble plus logique. Parce que mentir, c'est quand-même autre chose que de torturer un pauvre gamin.

J'espère que le chat va s'enfuir et va rameuter tout le monde !
tiyphe
Posté le 15/08/2020
Coucou Renarde !

Je te réponds alors que je suis en face de toi xDD

Il n'est pas très sympa Jacques non ! Bon ça fait partie des choses à retravailler, mais il n'est pas foncièrement mauvais, c'est à cause du Mal qu'il devient comme ça en fait :/
Sorryf
Posté le 22/01/2020
La situation qui a dégénéré beaucoup trop vite O____O
on est passé de "il le rendra a son frère dans quelques semaines" à "il l'attache et dértruit le nounours"
quel monstre ! J'espère que le petit va matérialier un T-Rex qui va le bouffer è.é

Mais a la base si je commente ce chapitre c'est parce que j'ai un petit doute sur le titre, il me semble que isolement = mise à l'écart (comme c'est le cas dans ton chap, donc) et isolation = protéger des températures, comme l'isolation d'une maison. A verifier, mais ça m'a fait bizarre ce titre de chap.
tiyphe
Posté le 23/01/2020
Est-ce que tu trouves que ça va trop vite ? Ou que ce n'est pas assez justifié ?

LOL alors je n'avais jamais fait attention à ça xD ! Tu as complètement raison, heureusement que tu es là ahah ! Je vais modifier ça de suite !
Sorryf
Posté le 23/01/2020
Non non au contraire la brutalité du changement rend bien! Puis on le savait que Jacques etait un pourri
tiyphe
Posté le 24/01/2020
Super merci ! :D
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