13. Elijah Lockwood

Personne ne mentionna une seule fois l’incident depuis qu’il s’était produit, comme s’il n’avait jamais eu lieu.

Elijah en cauchemardait mais il gardait ça pour lui, ne voyant pas l’utilité de raconter ses rêves. Et surtout, il ne voulait pas se remémorer cet épisode fâcheux de sa vie. Il n’avait même pas envie de savoir ce que Shiloh avait vu et qui l’avait effrayé au point d’en être devenu presque hystérique.

Elijah partit au travail, il était de service à midi. Le lendemain de l’accident, il avait demandé à son patron s’il était possible de le mettre uniquement sur les services du midi, ce qui avait été accepté. Elijah préféra alors travailler de jour et évitait de mettre un pied dehors dès que le soleil se couchait.

Il verrouilla sa porte d’entrée et pivota, prêt à partir. Quelqu’un se tenait en bas des marches. Cette présence inattendue fit sursauter le jeune homme si fort que son trousseau de clés lui tomba des mains.

— Fais pas cette tête, on dirait que tu viens de voir un fantôme, plaisanta Éirinn.

Il ricana nerveusement.

— Bah, c’est un peu le cas, non ? fit-il remarquer en ramassant ses clés.

Éirinn grimaça en entendant l’amertume dans la voix du jeune homme.

— Je suis venue prendre de tes nouvelles.

Estomaqué, il ne réagit pas immédiatement. Il demeura d’abord silencieux puis, il sourit, dépité.

Elle réclama une réponse d’un air gêné.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Éirinn ? Je te mentirai si je te disais que je suis content de te voir. J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose, ou que tu ne voulais plus me voir.

Elle détourna le regard comme un enfant que l’on contraint de s’excuser.

— Je suis désolée, ce n’était pas dans mes intentions.

Éirinn continua de fixer les dalles grises du trottoir, se dandinant, les mains dans le dos. Elijah était sur le point de la traiter de menteuse mais il réalisa alors à quel point elle paraissait jeune. Elle avait également une meilleure mine que la dernière fois qu’il l’avait vue. Enfin… ce n’était pas bien compliqué, quand on vomit, on a pas l’air bien.

Ses cheveux roux semblaient soyeux, il eut une soudaine envie de passer une main dedans. Ils avaient été lissés et ondulaient gracieusement autour d’elle.

Elle rayonnait.

— Tu as l’air en meilleure forme.

— C’est vrai ? demanda-t-elle.

Son visage s’illumina puis s’assombrit dans la foulée.

— Tout ce tumulte autour du Sangtuaire m’a plutôt affectée, je l’avoue. Mais c’est de l’histoire ancienne maintenant, j’ai décidé de ne pas me laisser abattre.

Son grand sourire était franc sans aucun doute, mais Elijah vit bien que ses yeux traduisait une toute autre émotion. Elle était encore perturbée par cette histoire.

— Je viens de revenir en ville pour prendre un nouveau départ, ajouta-t-elle déterminée.

Cette fois, il ne se gêna pas.

— Menteuse.

Il s’attendait à ce qu’elle s’offusque, ou perdue parce qu’elle n’aurait pas comprit de quoi elle parlait.

Contre toute attente, sa réaction ne traduisit aucune surprise. Mais plutôt… de la colère ? Pourquoi diable serait-elle en colère ? « Menteuse » n’est pas une si grosse insulte que ça…

Elle marmonna quelque chose entre ses dents dans sa langue qu’il ne comprenait toujours pas. Venait-elle de lui jeter un mauvais sort ? Il n’en saurait jamais rien.

Éirinn sourit à nouveau, de manière crispée cette fois-ci.

— Je ne mens pas, Elijah, je suis sincère. Je ne vois pas l’intérêt de te prendre pour un idiot.

— Et pourtant, tu l’as fait, persifla-t-il. En discutant avec une cliente du restaurant, j’ai cru comprendre qu’en fait, tu n’avais jamais quitté la ville. Je ne sais pas quelles raisons t’ont poussée à te cacher comme ça, mais c’était nul. Et je sais que tu as vu Shiloh.

Elle soupira et son corps se détendit.

— Je me suis sentie en danger, tous les flics étaient aux abois depuis la découverte du corps devant mon bar.

Elijah tiqua au mot « flics ». Il l’avait entendu maintes fois mais dans sa bouche à elle, il sonnait différemment. On aurait cru qu’elle le prononçait pour la première fois. Comme si elle se forçait à le dire pour paraître cool.

— Et ? Tu n’as rien à te reprocher, si ?

Éirinn ne répondit pas. Elijah recula d’un pas.

— Oh mon dieu, ne me dis pas que c’est toi qui a tué ce mec ?

— Non ! s’exclama-t-elle. Jamais de la vie ! C’est que, en fait… je n’ai pas l’autorisation de vendre de l’alcool alors, s’ils venaient à fouiller le bar…

Au lieu de terminer sa phrase, elle haussa des épaules.

Elijah soupira à son tour.

— C’est grave mais je préfère ça à l’autre option.

Il descendit les marches.

— Tu m’excuses, mais je dois aller travailler sinon je vais être en retard.

— Laisse-moi t’accompagner, proposa-t-elle.

Il accepta.

Éirinn proposa timidement de passer au Sangtuaire le soir même pour se faire pardonner, ce qui ne manqua pas d’attiser la curiosité d’Elijah. La jeune femme avait toujours exprimé une certaine gêne quant à leur venue dans son bar. Pourquoi en émettait-elle le souhait à présent ?

Le reste trajet se fit dans le silence le plus total. Mis à part le son des voitures, ils ne prononcèrent aucun mot. Elijah avait les mains enfoncées les poches de son jean et scrutait le sol. Éirinn regardait droit devant elle.

Il distinguait à peine le martèlement de ses escarpins sur le trottoir. Il l’observa du coin de l’œil. Elle semblait flotter, sa démarche fantomatique la rendait captivante. Son rouge à lèvres bordeaux accentuait son teint de porcelaine.

Soudain, le son des talons contre le sol devint de plus en plus fort. Bientôt, Elijah n’entendit plus que ça. Ce bruit lui rappela vaguement quelque chose qu’il avait perçu au loin il n’y avait pas si longtemps que ça.

— C’est rouge, annonça Éirinn, d’un ton impassible.

Elle ne donna pas l’impression d’avoir remarqué qu’Elijah l’examinait depuis la moitié du trajet.

Il eut à peine le temps de retirer le pied qu’il s’apprêtait à poser par terre, manquant de se faire renverser par la voiture qui roulait à vive allure. Éirinn tendit le bras pour l’empêcher d’avancer et le véhicule klaxonna.

Elijah ressentit l’appel d’air créé par la voiture, il chancela mais Éirinn ne bougea pas d’un poil. Elle était immobile comme un roc.

— Euh, merci, balbutia-t-il, je crois que tu viens de me sauver la vie.

Ça faisait deux fois en très peu de temps qu’il frôlait la mort et ce n’était pas agréable du tout.

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