💍 12. Pour une paire de chaussons 💍

Il n’y eut pas foule lors de la cérémonie et bien que cette dernière soit intime, cela n’a pas empêché les plus curieux de venir observer celle qui allait devenir la nouvelle et jeune Baronne. Les regards et les murmures n’avaient nullement échappés à Joséphine et Bartolomé, qui d’un regard se comprirent sans dire un mot sur le sujet. A présent, leur père ne pourrait plus les protéger et c’était à eux que revenait la lourde tâche d’assumer les responsabilités familiales. A Joséphine notamment.

De retour à la maison, la fratrie à peine descendue de la voiture entre dans le salon et chacun trouve un coin où se laisser aller. Joséphine et Bartolomé partagent le canapé, Ambre un fauteuil et Thomas se retrouve assis sur le tapis, regardant ses aînés fixement.

- Et maintenant ? demande Ambre en brisant le silence ambiant qui s’était jusqu’à lors installé

Quelle excellente question pensa son aîné en la regardant. Joséphine savait que Ambre n’allait pas pouvoir se taire et que cette question qu’elle lui avait précédemment posée reviendrait à un moment ou l’autre sur la table car s’il y a bien quelque chose que Ambre Conquérant détestait plus que tout, c’était de ne pas avoir de réponses à ses questions. Ça et ne pas être au centre de l’attention aussi. Joséphine ne sait toujours pas de quel côté familial elle a bien pu hériter ce désir si profond de vouloir être partout et aux côtés de tout le monde, elle qui passe le plus clair de son temps à faire tout le contraire. Peut-être que si Ambre n’avait pas six ans de moins qu’elle, elle la laisserait volontiers assister à tous les rassemblements mondains qu’il lui plairait. Visiblement, elle était faite pour ça.

- Maintenant, il va falloir que je m’occupe de certaines choses, lance Joséphine en quittant le canapé pour se diriger vers le bureau de son père de l’autre côté du couloir.

Laissant ses frères et sa sœur derrière elle, elle fait attention de refermer la porte sur son passage tandis que sur le bureau se trouve une pile de documents soigneusement organisée. Un sourire lui échappe à la vision de Ninon s’affairant ici et là. Au dessus de cette même pile, une feuille, une liste de choses. Une liste à laquelle Joséphine avait fait abstraction. La liste de tous les biens et toutes les possessions de la famille Conquérant ainsi que leurs valeurs.

- Voyons voir ça...

Prise dans le dépouillage de ce qui pourrait éventuellement sauver la demeure, la jeune femme n’entendit guère son cadet entrer alors que ce dernier avait préalablement frappé à la porte.

- Je n’avais pas mis les pieds ici depuis...

- Une éternité ? le coupe-t-elle, Quelle chance tu as.

- Je dirais plutôt que c’était toi la chanceuse. Pouvoir passer autant de temps avec notre père alors que ce dernier était bien trop pris dans les affaires depuis la mort de maman pour s’occuper ne serait-ce qu’un minimum de nous, lance-t-il en caressant le bureau du bout des doigts.

- C’est vrai...C’était une chance, mais aussi une malédiction que d’être celle devant s’occuper de sa comptabilité car au final, j’ai passé toutes ces années dans le mensonge.

- Que veux-tu dire par-là ? Que tu ne te confies pas à Ambre et Thomas c’est une chose que je comprends, mais Joséphine...ne me laisse pas dans l’ombre.

Un soupire lui échappe tandis qu’elle s’assoit allègrement dans le fauteuil situé juste derrière. Pouvait-elle également impliquer son frère et lui dire tout ce qu’elle savait et surtout tout ce dont elle ignorait ?

- Assieds-toi.

- Très bien.

Tout ce qu’il s’était passé cette dernière semaine, la mort «accidentelle» de leur père, la venue du Comte Detina, la découverte des comptes faussés, la famille au bord de la ruine, Joséphine n’épargne aucun détail et n’omet même pas de mentionner son enquête sur les quais. Il y avait quelque chose d’étrange entre le comportement de feu le Baron la veille de sa mort, le Comte et cet argent soudainement manquant. C’était comme avoir un immense puzzle sous les yeux sans être en mesure d’assembler les pièces car il en manque une. Une pièce essentielle.

Malgré tout, Bartolomé encaissa la nouvelle sans bronché, sans même sourciller. Au lieu de cela, le jeune homme resta très calme, composé et prit même le temps de réfléchir à des solutions pour aider son aînée. Malheureusement, depuis trop longtemps éloigné de la famille, ce dernier n’est pas vraiment de grande aide.

- Qu’est-ce que tu comptes faire ? Je veux dire...Cela fait beaucoup, même pour toi. Je sais que tu n’as jamais rechigné devant le travail et que père en profitait souvent. Je sais aussi que quoi qu’il arrive tu feras au mieux en mettant les intérêts de la famille en avant, mais Joséphine, fais attention.

- Ai-je un jour manqué de prudence, petit frère ? Je sais ce que je fais Bart, j’ai été élevée pour ce moment précis.

- Tu as été éduquée pour être Baronne certes, mais tu n’as pas été élevée pour connaître ce genre de difficultés. Je pense que toi, plus quiconque, a suffisamment donné.

- Je me débrouillerais. Je me suis toujours débrouillée. Tout ce que je veux c’est que cette affaire reste entre nous. Jamais nous n’en parlerons à Ambre ou bien à Thomas. Jamais ils ne sauront que notre père a été...Laissons leur au moins ça, tu veux bien ?

- Ce n’est pas moi qui vais m’y opposer. Néanmoins, je pense que tu devrais te méfier de ce Comte et je suis sérieux en te disant cela. Il y a quelque chose dans son regard dès qu’il se pose sur toi de...dérangeant. Je n’ai pas envie qu’il t’arrive malheur car tu es tout ce qui fait tenir cette famille et tu as toujours été notre pilier.

Un tendre sourire s’étire sur son visage tandis que Joséphine finit de consulter la paperasse étalée devant elle.

- Malheureusement, je refuse de laisser les choses se tasser et de subir un sort que je n’ai pas demandé.

- Ne peux-tu pas rapporter cela à une quelconque autorité ?

- Et qui m’écouterait ? Tu sais aussi bien que moi que dès que je vais mettre le nez dehors, tous n’auront à cœur que de se jeter sur moi. Notre famille possède plus de la moitié du port, nous avons une véritable flotte qui dépend de nous et sur chaque navire il y a au moins une trentaine d’hommes si ce n’est plus. Je ne peux pas laisser tomber tout ces gens en les confiant au premier venu n’ayant à cœur que son propre intérêt.

- Alors quoi ? Tu vas te présenter au port demain matin en posant tes pieds sur la table tout en ayant au préalable remonter tes jupons ? Je t’admire, mais aucun homme ne voudra écouter une jeune fille. Peut-être les vieux loups de mer travaillant avec Père depuis longtemps le voudront, mais tous les autres ? Cela m’étonnerait fort.

- Et le contraire m’aurait étonnée ! Je compte gagner le respect de ces hommes, je te rassure.

- Tu m’as l’air bien sûre de toi, as-tu déjà une idée de la façon dont tu pourrais t’y prendre ?

- Non, mais c’est soit ça, soit je le forcerais moi-même et tu sais que je n’aime pas entrer dans le conflit, mais qu’une fois dedans, je ne lâche rien.

Bartolomé éclate de rire en revoyant dans son esprit toutes les bagarres qu’ils avaient eu enfant. Joséphine, malgré son apparence et son physique plutôt fragile, était une véritable teigne, ça c’était certain et il était vrai que jusqu’à présent, jamais encore elle n’a reculée pour obtenir ce qu’elle voulait même si en grandissant, tout ce qu’elle demandait c’était d’avoir la paix.

- J’ai encore des cicatrices de tes morsures quelque part sur mon bras gauche, je crois, ricane-t-il en retroussant les manches de sa veste.

- Tant mieux. Le passé, à travers les marques et les cicatrices qu’il peut laisser, sert à apprendre de nos erreurs. Tu as appris des tiennes avec le temps.

- Tu sais, par moment je te trouve tout à fait effrayante tant tu parais avoir la maturité d’une vieille femme ayant tout vu et tout fait dans sa vie. C’est d’un triste qu’à peine vingt ans on ne prenne plus aucun plaisir, ne crois-tu pas ?

Mais qu’est-ce que le plaisir ? Ne peut-on pas être heureux par substitution ? Pourquoi le monde s’acharnait à lui dire qu’elle passait à côté de sa vie en n’en profitant pas alors que tout ce qui la rendait pleinement satisfaite c’était de voir ses cadets sourire.

- Mademoiselle ? interromps Ninon en arrivant dans le bureau, Vous avez de la visite.

- Qui donc ?

- Son Excellence, le Duc de Varsox.

A l’énonciation de son nom, Bartolomé se retourne vivement vers son aînée, tout sourire.

- Je t’interdit de dire quoique ce soit, intervient Joséphine en levant son doigt en l’air.

- Mais je n’ai rien dit, se justifie son frère ne pouvant s’empêcher de sourire, Néanmoins, je ne peux cacher ma curiosité. Qui est cet étrange personnage ?

- Une connaissance, le coupe Joséphine en se levant du fauteuil.

- Juste une connaissance ?

- Bartolomé Conquérant, je sais parfaitement quel sous-entendu tu dégages sous tes questions.

- Voyons Joséphine ! Sois honnête ! Si c’était une connaissance, pourquoi cet homme enverrait une lettre à mon Capitaine ? Visiblement cela doit être un personnage important ou de haut rang pour que mon supérieur hiérarchique pâlisse à la lecture du courrier, ricane-t-il en continuant de charrier Joséphine.

- Je n’étais pas au courant de cette initiative et je ne lui ai rien demandé non plus. A présent, tu m’excuseras, mais j’ai invité à recevoir.

- Et tu ne me présentes pas ? Je suis vexé.

- Va donc t’occuper de Thomas avant que Ambre ne l’oblige encore à prendre le thé avec elle et ses dix poupées.

- Bien Madame ! A vos ordres Madame ! Ce que tu peux être autoritaire parfois...souffle-t-il en partant

- N’est-ce pas toi qui m’a vivement conseillé de ne pas me laisser faire ? Je ne fais que suivre ton judicieux conseil ! Mon petit frère si brillant.

Echangeant un sourire complice, le duo se sépare tandis que Joséphine s’engouffre de nouveau dans le couloir. A sa vision, le Duc se redresse du canapé dans lequel Ninon avait dû l’installer en attendant sa venue.

- Votre Excellence, le salue Joséphine en se courbant devant lui, Je ne m’attendais pas à votre visite.

- Veuillez m’excuser. Est-ce que je dérange ? J’ai cru comprendre que votre frère était revenu aujourd’hui.

- A ce propos...

A peine a-t-elle le temps de lui faire part de sa remontrance que le Duc attrape une boîte enveloppée d’un ruban turquoise qu’il avait posé à ses côtés.

- Qu’est-ce donc ?

- Un geste de bonne volonté. Je vous l’ai dis, je souhaiterais que nous soyons amis vous et moi, lui dit-il dans un sourire confus ne sachant guère si son cadeau allait plaire à la demoiselle se tenant devant lui.

- Encore avec votre histoire d’amitié ? Êtes-vous à ce point-là en manque de compagnie avec toutes les femmes de la ville pouvant tuer juste pour passer une après-midi à vos côtés ?

- Vous exagérez, aucune femme ne...

- Si, elles tueraient pour vous.

- Dans ce cas, je fais bien de me tenir à l’écart de toutes ces invitations que je ne cesse de recevoir depuis mon retour. Cela tiendrait presque du harcèlement tant certaines semblent insister. N’y a-t-il nul homme pouvant combler leurs désirs ?

- Oh leurs désirs, je pense que si, mais aucun n’est suffisamment «bien» car quoi de mieux que de pavaner au bras d’un homme de votre...grandeur.

- Dois-je comprendre que vous prenez du plaisir à vous «pavaner» à mes côtés, Joséphine ?

- Je ne saurais dire. Tout à fait entre nous, je ne vous comprends pas. Je vous trouve intriguant, curieux et bien étrange, pointe Joséphine sans aucune retenue.

- Cela sont des qualificatifs ma foi...surprenants, poursuit le Duc en se raclant la gorge s’attendant probablement à autre chose venant d’elle.

L’invitant à se rasseoir, cette dernière prends place dans le fauteuil situé en face de lui, dans lequel Ambre était précédemment assise, tandis qu’elle découvre une paire de chausson dans la boîte qu’elle tenait fermement entre les mains.

Intriguée, ses yeux se lèvent à la rencontre de ceux du Duc qui visiblement n’a pas pour habitude d’offrir des cadeaux tant son visage paraît se décomposer.

- On m’a dit qu’ils étaient très agréables à porter et d’un confort sans pareil ! se justifie-t-il sans qu’elle n’ait eut besoin de dire un traître mot.

Sous sa figure agitée, Joséphine éclate de rire jusqu’aux larmes. Cela fait bien longtemps qu’elle n’avait pas autant ri. Elle en avait besoin.

- Décidément, vous êtes l’homme le plus surprenant que je connaisse, Monsieur le Duc, dit-elle en tentant de se calmer.

- Et là, est-ce un compliment ? s’inquiète-t-il

- En effet. Merci.

Pour la première fois, Joséphine Conquérant n’a pas cherché à avoir le dernier mot.

Pour la première fois, Jonah de Varsox ne s’est plus sentis seul.

Il venait de se faire une amie par le biais de chaussons.

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Alison CXC
Posté le 19/02/2021
Est-ce qu'on peut dire que ce chapitre est celui de la mignonnerie ?

J'aime tellement la complicité qu'il y a entre Bart et Joséphine, vraiment ! J'espère qu'on aura d'autres interactions avec ce personnage pendant les douze petits jours qu'il passera auprès de sa famille :)

En plus, techniquement, il n'a pas encore rencontré Jonah *__* Je veux voir ces deux-là dans une même pièce hehe Concernant le Duc, il a les meilleures idées de cadeaux ever ! J'aime bien le voir chez les Conquérant, leurs conversations laisse penser que "tout va bien dans le meilleur des mondes" et apporte vraiment un sentiment de légèreté qui fait du bien ^^

Bref, comme toujours, j'adore les personnages que tu nous as créé ! Merci beaucoup (encore) <3
ManonSeguin
Posté le 20/02/2021
Arrête de me remercier je ne fais pas grand chose :') Et effectivement ce chapitre était celui de la mignonnerie parce qu'ils me plaisent beaucoup à écrire et quant à la rencontre Jonah/Bartolomé tu devrais être bientôt servie !
HarleyAWarren
Posté le 09/02/2021
Hmm, alors ce serait possible que le Comte ait tout trafiqué de son côté pour mettre Josephine au pied du mur ? Remarque, vu le comportement du personnage, ce ne serait pas si étonnant et ça expliquerait beaucoup de choses.
En tout cas, le frère et la sœur ont une relation très touchante, on sent la complicité entre eux malgré une certaine distance due sans doute au fait qu'ils ne vivent plus ensemble depuis longtemps. Et que dire de la relation qui se noue petit à petit entre Josephine et le duc. Ils sont définitivement adorables tous les deux :D
ManonSeguin
Posté le 10/02/2021
Ah mais le Comte, c'est un personnage tout à fait particulier pour moi...du moins dans ma tête, mais j'ai encore pleins de choses à faire avec lui...et Joséphine.
Quant à la fraterie des Conquérant, ils me font rire mais en même temps, on sens que c'est une famille soudée malgré les épreuves ou la distance (notamment Bartolomé)

Et puis le Duc...Que dire du Duc ? :D <3 Le faire apparaître dans un chapitre n'est que bonheur et douceur pour moi :) J'ai vraiment hâte de pouvoir m'atteler à la suite !
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