12- Maudit soient ils !

Fil grognait tandis qu'on lui administra un énième coup dans le ventre. Un nouvel élancement le fit se recroqueviller un peu plus. Il sentit un filet de sang couler le long de sa machoire, tandis qu'un vertige l'obligea à fermer les yeux.

« Bon, et si on arrêtait de jouer mon enfant ? Tu sais comme moi que je déteste m'en prendre à ma chaire et mon sang  »

Dieu se pencha pour lui pincer les joues dans un geste affectueux, avant de rejoindre son trône nuageux en suspension à quelques coup d'aile de là. Sa silhouette s'y enfonça mollement, tandis qu'une nouvelle coupe surgit de nul part entre ses doigts et ce au moment même où elle approchait sa main de sa bouche. Elle savoura plusieurs gorgées en silence, paupières mi-closes. Rien, ou presque, ne pouvait gâcher ce petit moment de plaisir gustatif. Si ce n'est les râles et quintes de touxde cet ange persécuté, qui peinait à se redresser sur ses genoux. En l'observant, sourire victorieux étirant ses lèvres noires comme les corbeaux, un autre frisson de plaisir enflamma son âme.

« Es-tu enfin décidé ? Ma question est pourtant simple, je te la réitère : pourquoi protèges-tu ce Tomas, maudit soit-il, alors que ta mission consiste justement à le laisser tomber dans la plus grande des déchéances ? Après tout, c'est ce qu'il mérite pour être... Pour être tomber amoureux d'un insignifiant être humain. Beurk. »

L'être céleste eut une expression de dégoût, et cracha même à ce terme comme pour bien ponctuer sa phrase de tout son écoeurement.

Fil, une fois assis en tailleur après moult difficultés et geignements, toussa encore une fois longuement avant de s'essuyer la bouche pour retirer le sang blanchâtre qui le maculait. En jetant un oeil à sa supérieur, l'ange affichait alors soudainement un air on ne peut plus serein; bien que l'agitation frénétique de sa paire d'ailes en disait long quand à ses émotions dissimulés. C'est d'une voix faible, brisée, qu'il lui répondit :

« C'est cocasse comme le symbole même de l'amour infini ne puisse supporter cette idée là et... Ah ! »

Sa provocation n'eut que pour simple réponse la réception d'un éclair, qui vint le frapper droit sur son torse là où le Feu Sacré l'avait marqué. Un cri de souffrance s'étira pour mourir sur les nuages sombres alentours. On se trouvait dans l'une des sphères nuageuses sans issue dont seule Dieu avait le secret, et où rien n'y personne ne pouvait l'entendre. C'est bien pour cela qu'on l'avait emmené ici d'ailleurs, pour le faire parler coûte que coûte; quitte à le faire hurler encore et encore. L'ange torturé prit une longue inspiration, tâcha de refouler ces larmes qui désiraient tomber pour garder à peu près bonne figure et releva la tête avec un air de défi.

« Oui, c'est ma mission. Oui, je suis gardien de l'intégrité émotionnelle de tous ces êtres ailés qui parcourent nos cieux. Mais non, je refuserai de me plier à vos mauvaises intentions ! L'amour est puissant, l'amour est sage, et il s'agit là d'une forme d'amour on ne peut plus pur que je ne peux me résoudre à éteindre ! Le feu qui brûle en lui est si beau que je ne peux l'ignorer !

— CELA SUFFIT ! 

— Il sera mon exception à la règle parce que lui peut aimer !

— ASSEZ ! »

Dieu avait littéralement les yeux zébrés d'éclair menaçant, elle claqua des doigts et renvoya illico presto son prisonnier au fond de sa cage nuageuse. Lorsque sa silhouette s'évapora, elle ne tâcha pas de reprendre sa respiration mais laissa toute sa colère s'exprimer. Plusieurs épais cumulus sombres se formèrent devant son air glacial, tandis qu'elle les envoya brutalement sur la terre afin de provoques tempêtes et cyclones sur la planète entière. Des bourrasques violentes faisaient danser ses cheveux blancs dans des mouvements saccadés. Bras croisés, l'être céleste quitta son trône d'un pas aérien en battant de ses puissantes ailes sombres. En se maintenant dans les airs, son regard perça les nombreuses couches de nuages pour observer son pathétique prisonnier recroquevillé sur lui même. Un léger sourire vint étirer son visage en une expression satisfaite. Une pensée s'imposa dans son esprit millénaire. Une pensée aussi obscure que ses pupilles, et son coeur.

Jouons avec une petite malédiction.

Cette situation la divertissait, pour son plus grand plaisir. Car, quand on avait son âge -un nombre plus avancé que celui de l'univers- le pire ennemi étant l'ennui. Un doux frisson d'excitation courut sur sa peau. Oh bien sûr, au cours de tous ces siècles elle avait d'ores et déjà pu jouer avec le sort de l'humanité. Météorites, déluges, ou encore peste noire. Rien n'était trop beau, trop cruel, pour la combler. Le Comité des Cieux lui laissait une large marge de manoeuvre, tant par respect que par crainte. Après tout, elle était à l'origine de tout. Son monde, ses règles, sa délectation. Il n'existait rien pouvant venir contrecarrer ses plans.

Tout en retrouvant le confort moelleux de son trône, son esprit acéré réfléchit à un subtil moyen de punir à la fois l'ange Tomas, l'ange Fil et cet insipide être humain Julien. Son rictus s'élargit lorsque ses tortureuses reflexions parvinrent à leur aboutissement. Il ne lui restait plus qu'à mettre ça en place, et ce qui l'amusait d'autant plus étant qu'ils allaient tous jouer un rôle dans cette pièce maudite.

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