12. Le grenier

— Katy, passe-moi la fiole d’acide chlorhydrique !

La jeune fille courut chercher l’objet demandé. Sa blouse blanche avait des manches trop longues pour elle, et elle faillit faire tomber la fiole. Finalement, Théodorus eut ce qu’il demandait.

— Merci, marmonna-t-il en se replongeant dans ses expériences.

Cela faisait deux semaines que Katy travaillait en tant qu’assistante dans le laboratoire n°5. Elle passait le plus clair de ses journées à courir à droite et à gauche et à écouter les explications fumeuses de son maître sur les différents projets qu’il menait. Elle avait tenté de comprendre, mais n’avait pas saisi de quoi il voulait parler. Elle avait l’impression d’être un boulet qu’on roulait dans tout le laboratoire.

Katy observa avec attention les gestes de Théodorus. Il développait un liquide que l’on pourrait simplement lancer sur ses ennemis, et qui serait presque immédiatement mortel. Le savant rechignait à créer ce genre d’armes, mais il n’avait pas vraiment le choix. Parallèlement, il aidait le professeur Écuyer à mettre au point le prototype de l’armure rétractable.

— Va chercher Roy ! fit Théodorus, les yeux plissés sur sa manipulation. On va avoir besoin de pairs de bras !

Elle retint un soupir et obéit. Elle fureta parmi les scientifiques. Il régnait dans le laboratoire n°5 un tel brouhaha qu’il était inutile de l’appeler. Elle se décida à monter au grenier. Dès qu’il avait un instant de répit, Roy aimait y flâner. Elle se pressa et arriva essoufflée à l’étage, elle repéra vite la silhouette de l’assistant.

— Ah, tu es là, viens m’aid…

Sa phrase mourut dans sa gorge, Roy tenait un pistolet.

Elle eut un instant de flottement quand elle vit le canon de l’arme pointé sur sa poitrine.

— Que… Roy…

Il ne lui laissa pas le temps de finir, il tira. Par un prodigieux réflexe, elle bougea suffisamment vite pour éviter que la balle ne touche un de ses points vitaux. Elle fut blessée à la surface de l’épaule.

Malgré la douleur, la jeune fille ne poussa pas un cri, elle se servit de toute sa détermination pour rouler à couvert.

— Ça ne sert à rien de se cacher, je suis armé et tu es seule, tu ne peux rien faire. Accepte la mort.

Katy ne l’écoutait pas, son coeur tambourinait dans sa poitrine à une vitesse affolée. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, ni pourquoi Roy se comportait ainsi, mais elle n’allait pas se laisser faire. Le grenier était rempli d’objets métalliques dont certains particulièrement tranchants, elle n’avait qu’à se servir.

Le traître s’approcha lentement de sa cachette, derrière un carton.

— Pourquoi ?! s’écria-t-elle  en espérant le distraire et attraper ainsi une arme.

— Comme si j’allais te répondre.

La ruse ne marchait donc pas, la jeune fille s’en était doutée, mais elle avait quand même essayé. Elle remarqua soudain que le bruit des pas de Roy s’éloignait d’elle. La jeune assistante dressa l’oreille pendant un instant afin d’en être sûre, mais elle ne s’était pas trompée : il parcourait une allée adjacente comme si elle n’était pas là.

Avait-il oublié où elle s’était cachée ? Non, c’était impossible, il l’avait vue de ses propres yeux bondir à l’abri.

Mais alors que faisait-il ?

Elle entendit soudain plusieurs bruits métalliques, comme s'il cherchait quelque chose. Elle tendit l’oreille, ayant l’impression que les battements de son coeur atténuaient les sons extérieurs. Elle devait tenter quelque chose. Elle se glissa en dehors de sa cachette, parcourut des yeux l’empilement de carcasses poussiéreuses et repéra soudain une pale effilée accrochée à ce qui ressemblait à une petite hélice. Elle prit son inspiration et la décrocha le plus doucement possible. Le bruit que l’objet fit en se séparant de l’hélice figea la jeune fille, mais Roy faisait un tel boucan qu’il n’avait aucune chance de l’entendre. Elle s’obligea à respirer lentement, et avança pas à pas vers son adversaire.

Lorsque Katy jeta un oeil dans l’allée où il se trouvait, elle vit qu’il avait sorti d’une boîte cabossée plusieurs sphères de métal. Celles-ci étaient trop neuves pour être des inventions ratées, des espèces de montres étaient greffées dessus. Roy était en train de les régler.

La jeune fille reconnut soudain ces objets. Elle les avait déjà vus à plusieurs reprises dans les manuels d’armement que lui avait fait lire Théodorus. Ces sphères presque aussi grosses que la tête d’un homme étaient des bombes, les mêmes que celles qui avaient mis fin à la vie de sa mère. Des bombes utilisées par l’armée amaryenne.

Roy était à coup sûr un agent Amaryen infiltré. Il avait caché les bombes dans ce bric à brac, une très bonne cachette ; il était presque impossible de les trouver si on ne savait pas déjà où elles étaient dissimulées.

Katy étudia la situation, le traître allait sûrement utiliser les bombes pour détruire le laboratoire et tuer tous ceux qui y travaillaient. Grâce à la proximité du front, il n’aurait aucun mal à rejoindre le camp adverse avant l’explosion. D’ailleurs, si elle mourrait, il pourrait continuer à se faire passer pour un gentil assistant et rester en Terre Libre.

Elle devait le neutraliser avant qu’il ait fini de programmer l’explosion des bombes. Elle fléchit ses jambes en choisissant soigneusement la partie du corps qu’elle allait toucher, le bras droit, et serra son sabre de fortune dans sa main valide. Son bras blessé pendait mollement contre son torse, mais elle ne sentait aucune douleur. Dans un vrai combat, elle n’avait aucune chance de l’emporter, il fallait qu’elle touche sa cible du premier coup. Elle savait que si elle le blessait à l’épaule droite, sa surprise lui laisserait le temps de toucher son bras gauche, et qu'ainsi, il serait impuissant. Si elle allait assez vite, il n’aurait pas le temps de réagir.

Katy visa soigneusement, prit une inspiration. Puis, elle s’élança et abattit sa lame. Roy cria de douleur et de surprise. Mais elle n’avait pas suffisamment enfoncé la pale dans son épaule et il pouvait encore bouger le bras. Elle se maudit elle-même en tentant d’aligner un deuxième coup, mais son adversaire ne se laissa pas prendre une seconde fois. Il brandit son pistolet.

La jeune fille attrapa le canon et le leva vers le plafond au moment où il tirait. Roy lâcha son pistolet et sortit une fine dague de sa botte. Le combat s’engagea, elle se crut perdue.

Son ennemi était un piètre escrimeur, mais Katy ne faisait pas mieux. Elle évitait ses coups avec difficulté, sa main si serrée autour de son arme qu’elle en saignait. Elle devait cesser le combat, elle jouait sa vie. Dans un état second, elle vit enfin une ouverture. À cet instant son esprit n’était concentré que sur une seule chose : survivre.

D’un geste désespéré, elle enfonça sa lame dans le corps de Roy.

Le combat s’arrêta là. Elle avait planté l’arme improvisée juste sous le coeur, le sang s’échappait de son corps à une vitesse effroyable. Il cessa d’attaquer, les yeux écarquillés. Il tenta de rester debout. Mais c’était peine perdue, il finit pas s’écrouler sur  le dos en fixant le plafond d’un air ahuri. Katy se précipita pour le rattraper, le sang de Roy formait une flaque rouge sur le sol sale, une trop grande flaque. Elle le considéra, affolée. Le traître ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais il n’obtint qu’un râle d’agonie. Une larme coulait sur sa joue, il articula une phrase muette que la jeune fille n’eut aucun mal à déchiffrer : « Je ne veux pas mourir ». Mortifiée, elle jeta un coup d’œil à la plaie sur son torse ; malgré le fait qu’il s’était vidé de son sang, il ne mourait toujours pas. Quelle souffrance cela devait être…

Enfin, Roy fut agité de convulsions, il se cabra dans les bras de son ancienne collègue, qui eut bien du mal à le retenir, puis il s’immobilisa définitivement. Mais avant de rendre son dernier souffle il articula une dernière phrase à l’attention de celle qui avait mis fin à sa vie : « Pardonne-moi. » Elle eut tout juste le temps de hocher la tête avant que les yeux du mourant ne s’éteignent à jamais.

Elle pleura longtemps. Si longtemps, que Théodorus, ne voyant pas revenir son assistante, monta au troisième étage. Il la trouva le bras en sang, agenouillée par terre devant le cadavre d’un homme baignant dans une mare écarlate. Heureusement qu’il n’était pas cardiaque. Le savant mit un certain temps à reconnaître Roy. Lorsque Katy se rendit compte de sa présence, elle s’évanouit dans ses bras.

 

___

 

— Nous avons mené notre enquête sur Roy, c’était effectivement un espion à la solde de l’Empire, malgré ses origines alyciennes. D’après les informations que nous avons recueillies, il a été enrôlé de force par les services de l’Armée Verte. Pour qu’il obéisse, ses employeurs gardait sa famille en otage. Ils avaient besoin d’une personne à laquelle nous faisions totalement confiance pour infiltrer le laboratoire. Comme tu l’avais deviné, les bombes qu'il s’apprêtait à utiliser étaient des 0800, autrement dit presque les plus destructrices. Grâce à toi, on a évité une belle catastrophe. À ce propos, le commandant Otto tient à te dire que tu peux lui demander tout ce que tu veux.

Katy n’avait pas articulé un mot depuis le début du compte-rendu détendu de Rupert. L’intendant s’était spécialement déplacé jusqu’à l’hôpital pour lui annoncer la nouvelle. Il la fixait dans l’attente d’une réaction. Un long moment s’écoula dans le silence.

— Sa famille ? finit par dire la jeune fille.

— Oui, enfin ce qu’il en reste. Sa soeur cadette et son grand-père, tous les autres sont déjà morts.

— Que va-t-il leur arriver ?

— Eh bien… vu qu’ils n’ont plus d’utilité, je suppose qu’ils deviendront des Muets.

Katy serra son poing valide, ses yeux grondant de rage.

— Que dirais-tu de te battre ?

— Hein ?

Rupert la regardait d’un air pénétrant.

— Tu ne t’en rends pas compte, mais tuer un homme en pleine possession de ses moyens comme l’était Roy n’est pas à la portée de n’importe qui. La plupart des gens n’aurait pas survécu, et quand bien même, ils seraient restés figés par la peur, incapables d’agir et de réfléchir. Et encore plus en étant blessés ! Tu as réalisé un exploit. Tu sais, Théodorus m’a raconté ce qui s’est passé avec le Général, tu avais déjà montré tes prédispositions au combat.

— Où veux-tu en venir ?

— J’ai bien remarqué que tu ne te plaisais pas au laboratoire n°5. Alors je te propose un job.

— Lequel ?

— Soldat.

Elle se figea.

— J’ai douze ans.

Il haussa les épaules.

— J’en avais huit quand je me suis retrouvé sur le front, sans armes ni protections, je suis bien placé pour te dire que l’âge n’est pas une preuve de valeur. Que ce soit clair : je ne te propose pas de t’envoyer faire la guerre sitôt remise de tes blessures. Je te parle de suivre la formation dès que tu seras rétablie pour devenir soldat et de passer l’examen, c’est à toi de voir. Je te laisse, j’ai du boulot.

Katy le regarda partir, interloquée.

Lentement, l’idée se fraya un chemin dans son esprit. Elle savait qu’elle serait beaucoup plus utile sur le front qu’au laboratoire. Et elle pourrait tuer des Amaryens. Cette idée était séduisante.

Elle décida d’accepter la proposition de Rupert.

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Guimauv_royale
Posté le 21/01/2023
Coquilles

- son coeur tambourinait dans sa poitrine à une vitesse affolée (je trouve ça un peu bizarre le “affolée”
- repéra soudain une pale effilée accrochée à ce qui ressemblait à une petite hélice. Elle prit son inspiration et la décrocha le plus doucement possible. (Pareil bizarre le “pale effilée” et le “prit son inspiration”)
- Katy visa soigneusement, prit une inspiration. Puis, elle s’élança (soit tu ne mets pas de point soit tu met un mot de liaison à la place de la virgule mais là c’est étrange je trouve)
AudreyLys
Posté le 05/02/2023
merciii
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