11 - Retour chez Balinda

Un éternuement rompit ce contact silencieux. Julien profita de cette irruption pour se précipiter dans la salle de bain, sous prétexte que les mouchoirs sont stockés la-bas. En réalité, cela lui permit de fuir ce regard brûlant qui le troublait plus que de raison. En prenant de longues inspirations, il se moucha et jeta un oeil au miroir. Son reflet lui renvoya un visage cramoisi, presque raccord avec la couleur rousse de sa tignasse informe. Après quelques frictions avec de l'eau fraîche, et une bonne paire de claques mentales, il retrouva une figure à peu près convenable à son goût. En revenant dans la pièce principale de son logement étudiant, il fut presque soulagé de voir Tomas de nouveau installé sur sa place. L'image du démon surgit soudainement dans son esprit, et c'est plus par perte d'équilibre que par volonté qu'il s'assied sur son pouf.

« C'était donc toi, l'autre soir ?

— Tout à fait ! »

Il ignora la mine réjouit de son interlocuteur, perdu un instant dans ses pensées. Il faut dire que ça n'était pas un bon souvenir, et que cette rencontre lui donnait des frissons glacés. Tandis qu'une toute petite voix au fond de son être lui sussurait toute l'extraordinaire de l'existence du surnaturel, le reste de son esprit réfutait tout en bloc. Et puis quoi encore ? Les lutins de cornouailles existent ? Nessy patauge en Ecosse et le Yéti aime passer sa journée à manger des cornets de glace ? Il se secoua la tête comme pour remettre de l'ordre dans ses neurones. Lui, ce qu'il aimait c'était l'ordre et la logique ! Donc, pour cette nouvelle situation impromptue, autant se raccrocher à ce qu'il pouvait contrôler. Pour chaque problème, une solution; ce boulversement dans son existence paisible avait aussi son problème, donc sa solution; et ainsi tout redeviendrait comme avant. En croisant les bras, toute envie de finir les délicieuses crêpes disparue, il eut un regard déterminé en reprenant le fil de la discussion.

« Tu me dis que tu es là pour aider mon âme dans son apprentissage, c'est bien ça ?

— Exactement !

— Et, que j'ai apparemment un problème de malchance qui me colle aux fesses ?

— Voilà ! Et je suis là pour t'aider à le résoudre !

— Donc, si nous trouvons le moyen de résoudre cette difficulté alors tout sera de nouveau normal ? On est d'accord ? »

Le jeune étudiant regarda Tomas, l'air plein d'espoir. Il ignora superbement la disparition de son sourire, la soudaine neutralité de son expression faciale, dans l'expectative de sa réponse. Quand il hocha la tête doucement, alors un sentiment de soulagement couru sur sa peau. Bientôt, tout ça ne sera donc plus qu'un vieux et méchant souvenir. L'ange se dandina avant de reprendre la conversation.

« Et pour cela, nous devons retourner voir Balinda. Dans la fameuse boutique ésotérique. La première fois que tu y es allé, elle a eu le temps de te filer ces lunettes protectrices; et j'ai pu quant à moi renvoyer le démon aux Enfers. Elle saura comment te retirer ta Malchance.

— Alors allons-y sans perdre de temps ! »

Il sauta pour enfiler sa veste en deux-trois mouvements, mais s'arrêta au moment où il tourna son jeu de clef dans la serrure. Il se retourna, l'air dubitatif.

« Il faut faire quelque chose pour ton, enfin tu sais, ce que tu as dans le dos. Je ne voudrai pas qu'on vienne t'agresser pour quelque chose qui est, disons, inhabituel pour le reste du monde.

— J'ai encore un peu de pouvoir, seul toi peut me voir à l'heure actuelle. Nous pouvons nous mettre en route, si tu es pressé. »

Julien acquiesça et lui fit signe de le suivre à l'extérieur. Pas la peine de sortir son GPS, car lors du premier trajet effectué son cerveau avait noté mentalement quelques points de repères par automatisme. Aussi, en quelques minutes le duo se retrouva devant cette façade à l'allure sombre et mystérieuse. Julien sentit la peur couler dans ses veines, son index remonta alors mécaniquement la monture sur son nez. En s'avançant d'un pas déterminé, il ne vit pas que Tomas, près de lui, avait entamé un geste dans sa direction pour poser une main sur son épaule. Lorsque la porte s'ouvrit dans un bruit de carillon, des flash de sa première venue dansèrent devant ses yeux. Toutefois, il se raccrocha à cette idée que bientôt ça n'aurait plus d'importance. Une forme floue et colorée se dandina devant lui soudainement.

« Ah te voilà mon p’tit ! Et tu viens accompagné d'un adorable ange en plus, c'est mon jour de chance parce que j'ai toujours rêvé d'en voir un de mes prop'yeux ! Entrez, qu'on n'traîne pas. L'contrat sur ta caboche va pas s'retirer tout seul comme par magie, enfin j'me comprend ahah ! »

Son rire résonna un peu partout, se répercutant sur tout cet amas d'objets hétéroclite. Le jeune homme fit quelques petits pas timides, ne pouvant s'empêcher de vouloir tout regarder à la fois tant c'était le capharnaüm. D'ailleurs, il eut l'impression que c'était mille fois plus bordélique que l'autre fois. Une lueur d'interrogation illumina soudainement ses yeux verts. 

«Mais, comment vous pouvez le voir ? Je croyais que tu étais invisible pour tout le monde ? »

Tomas échangea un signe de tête avec Balinda, avant de lui répondre sur un ton jovial.

« Balinda est une vieille amie pour la communauté angélique, et elle a des capacités. Mes pouvoirs ne peuvent l'atteindre. Ravie de te rencontrer enfin d'ailleurs !

— Et ouaip' ! Bon, on se met au travail ? Suivez moi ! Oh, attendez ! »

La femme rondelette alla tourner la pancarte open, pour afficher close pour tout client à venir, et leur fit signe de la suivre dans l'arrière boutique. C'est après avoir zigzagués entre les nombreuses étagères pleines à craquer qu'ils traversèrent d'épais rideaux de velours rouges pour finalement s'installer sur des poufs en osier tressés. Au centre, trois bougies éteintes et un étrange symbole tracé à la craie entourant l'ensemble. Le reste de la pièce était décorée par une multitude de tableaux qui représentaient mille horreurs et créatures effroyables. Julien les évita du regard et s'installa, noeud au ventre. Il était plongé en pleine confusion. Toute cette situation rocambolesque le dépassait, et il avait surtout qu'une hâte : que tout se termine, pour retourner à sa petite existence tranquille. Sans malchance, sans démon, sans ange gardien. D'ailleurs, il posa brièvement ses yeux sur ce dernier; qui s'était sagement installé en prenant soin de ne pas froisser son aile unique. Bien que sa curiosité le mordait de l'interroger à propos dû fait qu'il en manquait une, il se retint par pudeur. Après tout, à quoi bon s'y intéresser si d'ici quelques temps il sortirait pour de bon de sa vie ? Ses entrailles se nouèrent davantage.

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