11 L'île de l'UESH

   Le soleil se levait à l’horizon, colorant la mer d’un vert turquoise. Les vagues devinrent moins hautes, et le bateau eut un balancement plus agréable que la veille. Rose se laissa réveiller par l’air frais du matin. Elle se teint à la poupe, regardant au loin. Ils ne devaient plus être très loin de l’île.

   L’iode emplit ses poumons, et elle aimait cette odeur. Encore une fois, cela lui rappela la première fois où elle avait vu la mer. Elle avait 17 ans. Le métal de l’embarcation lui glaçait les doigts, ses mitaines ne suffisant pas à se protéger du froid glacial du large au printemps. Elle replaça sa grosse écharpe en laine grise autour de son cou en frissonnant.

   Rachid sortit de la cabine avec un thermos et une tasse à la main. Affublé de son bonnet rouge et de son ciré jaune, il ressemblait à un vieux pécheur. Il s’approcha de Rose et lui demanda :

   — Café ?

   Rose fit oui de la tête, et prit la tasse bien chaude, qui la réchauffa quelque peu. Rachid se mit à côté d’elle, le bateau avançant seul sur un filet de gaz. Ils regardèrent tout les deux l’horizon, et le soleil qui se levait. Il y eut quelques petites vagues, puis une plus grosse. Quand ils furent en haut de celle-ci, Rose l’aperçut enfin, et pointa du doigt :

   — Regarde Rachid, on arrive ! L’île ! s’exclama-t-elle de joie.

   Les deux jours de navigations étaient peu de chose, mais cela avait suffit à l’épuiser.

   — Super ! s’exclama à son tour Rachid, en replaçant son gros bonnet en laine sur ses oreilles. J’accélère le bateau, cap sur l’île des héros !

   Rachid rentra dans la cabine, et mit plein gaz. L’embarcation commença à avancer à bonne allure, le vent glacé rougissant les joues de Rose, qui resta tout de même à la poupe, les cheveux fouettant son visage ; elle regardait la terre se rapprocher, cette idée étant suffisante pour lui redonner chaleur. Le bateau fila ainsi pendant vingt bonnes minutes, jusqu’à ce qu’ils soient assez proches de l’île ; alors l’embarcation ralentit, des rochers affûtés et menaçant commençant à sortir de l’eau dans des courants de plus en plus traîtres. L’île était sinistre. D’extérieur, elle était un amas, une couronne de pics pointus, de brisants acérés de granit noir,  pointant vers son centre, tapissé d’un sol aux nuances ocre. Cela ressemblait à un nid de dragon, d’où elle tirait son nom.

   — L’île au dragon, murmura Rose.

   — L’île au dragon ? répéta Rachid incrédule.

   — Oui, c’est son véritable nom. Des récits gallois racontent qu’un dragon avait créé cette île, pour en faire son nid, en fondant la pierre. Les pics servant à protéger ses œufs.

   — Sacrée légende ! s’exclama Rachid.

   — Oui, légende, comme tu dis, répéta Rose.

   Après les évènements de la bête, qu’est ce qui tenait vraiment lieu de légende. Le dragon avait-il vraiment existé ? Winston ne l’avait pas précisé quand il avait légué cette île.

   Les vagues qui se fracassaient sur la côte dans un boucan du diable renforçaient l’hostilité des lieux. Ils s’approchèrent dangereusement des amas rocheux, et Rose le cria à Rachid en pointant du doigt :

   — Ralentis l’allure ! On doit passer entre ces deux blocs de roche pour cheminer sereinement !

   Rachid mis le bateau au ralenti, et ils glissèrent dans un petit chenal. Ils s’approchèrent de la côte noire de l’île qui se dévoila gigantesque. Rose avait souvenir qu’elle était grande, mais pas à ce point. Ils arrivèrent alors dans l’ombre des aiguilles, et le froid se fit plus mordant, le vent se renforçant à l’approche de la terre, s’engouffrant dans un entonnoir constitué de pics. Rachid approcha le bateau avec précaution et précision vers un ponton de bois partiellement délabré. Le courant se fit soudain plus calme, et la navigation plus simple. Le bout du ponton étant bien trop abîmé, Rose lui fit signe de se rapprocher de la côte, où il était en meilleur état. Quand un des poteaux fut assez solide pour sa gouverne, Rose prit un bout qu’elle passa autour, puis elle sauta sur le ponton et serra le bout pour que le bateau s’amarre en douceur. Ils stabilisèrent l’embarcation avec d’autres cordages qu’ils attachèrent où ils purent, et coupèrent le moteur. Rose leva les yeux vers l’île qu’elle n’avait plus visitée depuis presque 30 ans. Le ponton menait à un chemin entre deux immenses dents, qui était la seule entrée dans l’île. D’ici, on ne voyait pas la base, cachée à flan d’une petite montagne, de l’autre côté. Rachid mit pied à terre aussi, et regarda dans la même direction que Rose. Il referma son manteau pour se couper du vent froid.

   — Alors, où est la base ? demanda-t-il en claquant des dents.

   — Il faut suivre ce chemin, dit-elle en le pointant du doigt. Mais c’est trop escarpé et long à pied, surtout avec des bagages, c’est pour ça qu’on a amené les roues et la batterie. Tu vois ce bâtiment ?

   Rachid fit oui de la tête. Un bâtiment était juxtaposé aux pics de l’entrée ; il semblait solide et bien debout. Son toit de tôles était rouillé, mais n’avait aucun trou. Il avait l’air aussi assez grand, et les vagues ne pouvaient pas l’atteindre, même à fort coefficient.

   — Les voitures sont dedans, précisa Rose, alors pour l’instant, c’est notre objectif. On prend nos affaires, et on va là bas. On aura peut-être besoin d’un pied de biche pour ouvrir la porte.

   Le ponton couvert d’algues vertes et marron était traître, et ils le traversèrent avec précaution, surtout chargés comme ils étaient. Ils mirent près d’une demi-heure à emmener toutes les provisions, évitant parfois de passer au travers d’une planche pourrie. Quand tout fut au pied du bâtiment, ils observèrent la porte haute et brûlée par les embruns, la couleur acier ayant totalement cédée sa place au rouge de la rouille. La serrure était mangée par la corrosion, et plutôt que d’essayer d’y enfoncer la clé, Rose donna un grand coup de pied de biche et la serrure se brisa. Puis Rose tenta de faire coulisser la porte, mais sans entretient, celle-ci s’était totalement coincée, impossible à mouvoir seule. Rachid la laissa faire un moment, puis rigolant en la voyant pousser comme une forcenée, lui demanda :

   — Un peu d’aide ?

   Rose, rouge et essoufflée lui répondit spontanément :

   — Pas de refus !

   Ils forcèrent tous les deux, et après maints efforts, la porte se dégagea, dans un nuage de poussière roussâtre, coulissant jusqu’au bout, révélant son antre. Quatre voitures étaient garées au fond du bâtiment miraculeusement sec ; couvertes de poussières, Rachid y distingua une 2cv, un vieux land rover pick-up à châssis long, et deux arondes châtelaine. Rose prit la caisse à outils, et se dirigea vers la 2cv.

   — On prend celle là, dit-elle, ça sera la plus simple à remettre en route.

   Ils s’approchèrent de la vielle Citroën, dont une épaisse couche d’immondices cachait la peinture. Rose passa sa main sur le capot et frotta, révélant une couleur bleue pâle. Les pneus étaient, comme elle le pensait, totalement décomposés. Rachid et elle frottèrent les carreaux, pour pouvoir y voir plus clair. Ils firent le tour ; la carrosserie était rouillée par endroit, mais Rose s’attendait à pire, surtout en plein milieu de la mer. La tôle était piquetée, et de petits trous se trouvaient sous la fenêtre arrière droite, dans le coffre et au niveau du plancher avant gauche. Le châssis était quand à lui, et fort heureusement, en bon état.

   Rose ouvrit le capot de la 2cv : le moteur semblait vaillant ; les tuyaux de chauffage avait subit les assauts de plusieurs rongeurs, et étaient coupés en deux. Elle les retira, et vida les noisettes qu’il y avait dedans. Elle posa les morceaux de tuyau sur le capot du land rover à côté, et chargea Rachid de desserrer les roues. Avec la grosse clé, et beaucoup de dégrippant, les boulons se desserrèrent petit à petit, demandant à Rachid l’utilisation de toute sa masse. Rose se penchait sur le moteur ; prenant la manivelle dans le coffre arrière, elle le fit à la main, pour vérifier si il était grippé ou non. Il tourna de lui-même, ce qui était une très bonne nouvelle. Après inspection du filtre à air, celui-ci s’avéra plein à craquer de noisettes. Vidé, l’huile moteur subit le même sort, remplacée par une neuve de bien meilleure couleur. Enfin, l’inspection du réservoir d’essence indiqua un bon état interne. Le moteur pouvait repartir.

   Rachid installa la dernière roue et reposa la voiture à terre. Ne manquait plus que la batterie. Quand elle fut branchée, Rose se plaça derrière le volant, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. Les voyants s’allumèrent au contact. Le démarreur se lançant dans le ronron caractéristique de ces voitures, sans pour autant faire chanter le moteur. Rachid, la tête sous le capot, envoyait des informations à Rose, ainsi qu’un peu d’essence directement dans les carburateurs. Au bout de la troisième tentative, le moteur commença à tousser. Rose en trembla d’excitation.

   — On est proche du but ! s’exclama-t-elle.

   Elle réessaya trois autres fois, et au bout de la troisième, le moteur se lança dans le son caractéristique des 2cv, chantant fortement en l’absence du pot d’échappement pour le brider, nécrosé par la corrosion. La fumée sortait même directement du moteur. Les deux comparses exultèrent.

   Rachid vint au carreau et lui fit un grand sourire comique en levant son pouce en l’air. Ils laissèrent le moteur tourner un peu, puis Rose tenta les premiers déplacements. La voiture était un peu collée au sol, mais après quelques tentatives, et dans un « clac »très satisfaisant, elle se débloqua et avança de quelques mètres.

   — Increvables ces voitures ! Il faut que j’en rachète une pour me balader sur la côte! déclara Rose toute joyeuse.

   Après cette belle victoire, ils décidèrent de prendre leur repas du midi à l’abri dans le bâtiment, profitant de la chaleur du moteur pour réchauffer leurs conserves.

   Ils déposèrent la banquette arrière de la 2cv pour manger dessus, et faire de la place dans le coffre pour leurs bagages. Puis, avant de sortir la voiture du bâtiment, Rose reprit les deux tuyaux de chauffages cassés, et avec du gros scotch gris, en fit un seul avec les deux, qu’elle replaça dans le compartiment moteur.

   — Question de confort, si tu ne veux pas mourir de froid dedans, dit Rose en regardant le regard incrédule de Rachid.

   Ils rebouchèrent de la même manière les trous qu’il y avait dans la capote, et enfin, ils sortirent le véhicule du bâtiment, en refermant la porte derrière eux à l’aide d’une grosse corde. Rose s’engouffra alors avec la 2cv dans le chemin délimité par les deux immenses pics de granit noir, les pneus cloutés faisant merveille tant le chemin était difficile et boueux sur les premiers mètres. La voiture rentra à son rythme au cœur de l’île, où ils virent pour la première fois de la verdure. Surtout composées de mauvaises herbes en tout genre sur ce sol graniteux, il y avait tout de même quelques arbres, et pour seuls habitants des oiseaux marins et quelques rongeurs. Le manque d’entretient depuis 30 ans rendait le paysage désolant : chardons, bois morts et rochers sur le chemin, éparpillés par les vents ; la route était tout de même encore praticable, et la souplesse de la 2cv faisait de sacrés miracles. Le chemin contournait par l’ouest la petite montagne derrière laquelle se trouvait la base. Cela faisait tout de même quelques kilomètres de routes caillouteuses, inenvisageable à pied. La cime était haute et encore plus impressionnante que les pics, elle aussi de noir vêtue et faisant planer son ombre autour d’elle. Après une bonne demi-heure de cheminement en voiture, ils arrivèrent enfin sur le flan nord où était creusé le QG. L’immense porte blindée se dévoila au loin, grise, recouverte de végétation, fermant hermétiquement la base. Rose se rapprocha, et se gara sur la place bétonnée devant, où quelques rochers s’étaient écroulés de la falaise.

   A pied, ils se dirigèrent vers le local électrique dont la porte galvanisé était bloquée. Elle s’ouvrit en demandant de la force dans un grand fracas. Les coffrets électriques bien protégés étaient couverts de poussière et d’une fine végétation. Chaque fusible fut remit à sa place, ce qui en résultat un bruit sourd, puis un grondement. D’autres rochers tombèrent du haut de l’immense porte en fer qui venait de se déverrouiller. Il restait désormais à l’ouvrir.

   — Il y a deux boutons d’ouverture, expliqua Rose à Rachid. Ils se situent de chaque côté de la porte. Il faut enclencher le code et activer en même temps pour que la porte s’ouvre. OK ?

   Rachid hocha la tête et se dirigea devant le digicode de droite ; ils actionnèrent la combinaison ensemble. Un nouveau « Clac » résonna et fit vibrer les parois de la montagne. Suivit du bruit de l’ouverture d’une dizaine de serrures et enfin, un son sourd semblable à un gong chinois. Dans un gémissement plaintif, l’immense porte blindée s’ouvrit en deux, lentement, faisant vibrer le sol, provoquant l’effondrement de poussières, petits rochers et végétation qui s’étaient nichées au dessus. La porte mit un certain temps à s’ouvrir complètement, et s’arrêtât net dans une vibration plus forte, qui fit tomber encore un peu plus de poussières et de rochers. Ouverte, Rachid en apprécia l’épaisseur : au moins 20 centimètre d’acier. Rose posa les poings sur ses hanches, et observa avec satisfaction l’immense ouverture.

   — Il n’y a pas à dire, ce que l’on faisait dans les années 60, c’était du solide.

   Elle dépoussiéra ses épaules et regarda l’heure sur sa montre.

   — Bon, la première étape est faite, maintenant, il faut redémarrer la salle des balises, et ça, ça va nous prendre la journée.

   Le hall d’entrée de la base était cathédralesque, disposé sur deux étages. Vert militaire, comme n’importe quelle base de ces années là, avec des fléchages jaune et noir pour indiquer des zones de dangers, des ventilations, où les différentes entrées ; il y avait des couloirs qui menaient à d’autres pièces, leurs fonctions étant renseignées par un écriteau sur un mur. Malgré son arrêt depuis trente ans, l’ensemble n’était que maculé de poussière et semblait en bon état.

   Au rez-de-chaussée, quatre couloirs menaient aux salles de fonctionnement de la base : le premier, tout à gauche, indiquait le local électrique et l’atelier. Le deuxième, le hangar sous terrain. Le troisième, la salle de réunion et la salle de commande, et enfin, le quatrième, la salle des balises.

   Au premier étage étaient regroupées toutes les salles de confort, avec ici aussi, quatre couloirs. Au dessus du premier, il était indiqué « dortoir et salle d’eau », sur le deuxième, « réfectoire », sur le troisième, « terrasse » et enfin sur le quatrième, « accès pédestre à l’héliport ».

   — C’est un peu… Austère non ? fit remarquer Rachid en tournant sur lui-même avec sa lampe de poche.

   — Je sais. Mais ne t’en fait pas, les autres salles sont bien plus chaleureuses. La construction est basée sur les abris antiatomiques.

  Rose se retourna pour observer l’extérieur ; de gros nuages noirs menaçaient dans le ciel.

   — On ferait bien de rentrer la 2cv. On risque de passer l’après midi et la nuit à remettre la salle des balises en marche. On va refermer la porte derrière nous.

   Quand la 2cv fut à l’intérieur et la base refermée, Rose sortit deux lanternes puissantes, les seuls autres lumières subsistantes étant les deux lampes torches et les panneaux verts « issue de secours ». Rose confia une des lanternes à Rachid, qui ne se pria pas pour la prendre, et lui demanda de la suivre.

   Les souvenirs de la disposition de la base étaient ancrés dans la mémoire de Rose. Elle y ressentit l’agréable sensation du retour chez soi. On n’efface pas plus de vingt ans de sa vie comme ça. Rachid ne ressentait pas cette même sensation. L’air était étouffant, les couloirs étroits et oppressants, comme dans un sous-marin.

   Rose marchait à bonne allure, sachant exactement où elle les emmenait. Ils prirent le couloir menant au local électrique, qui s’étendait sur une bonne centaine de mètres, et était tellement sombre que les lanternes peinaient à l’éclairer sur une bonne distance. Mais cela ne diminuait pas la vitesse de Rose. Le couloir déboucha dans une grande pièce creuse et basse, dans laquelle on descendait par l’intermédiaire d’un solide escalier de fer. Rose teint fermement la lanterne devant elle, et descendit les marches dont le bruit de métal faisait écho dans la salle. Une puissante odeur de gasoil leur chatouilla les narines. En bas, ils se retrouvèrent en face d’une sorte d’immense chaudière couchée.

   — C’est le générateur ? demanda Rachid plein d’espoir, redressant ses lunettes carrées sur son nez.

   — De secours, répondit Rose. L’électricité est fabriquée grâce à une turbine sous marine.

   — Mais c’est carrément en avance sur son temps !

   — En effet, lui répondit Rose en inspectant le générateur.

   Elle s’affaira dessus, tournant certains leviers et remettant en place des fusibles.

   — Malheureusement, continua-t-elle en forçant sur une vanne, la turbine n’a pas fonctionné depuis plusieurs décennies ; il faut espérer qu’elle marche. Le générateur de secours va lui donner un petit coup de pouce. Tiens, peux-tu me passer la clé anglaise s’il te plait ?

   Rachid fouilla dans le sac a dos, et en sortit une grosse clé anglaise rouge très lourde, capable de briser un crâne avec peu d’efforts. Rose la prit, et tourna une valve récalcitrante. Il y eut alors le glouglou significatif d’un liquide coulant dans des tuyaux.

   — Première étape effectuée. Au suivant ! s’exclama Rose.

   Ils se démenèrent ainsi pendant une bonne partie de l’après midi à faire en sorte que le générateur redémarre. Rose ouvrait des tuyaux, amorçait des pompes, réglait des débits, tant et si bien que vers 18h, au moment du verdict, elle était couverte de cambouis, et Rachid également. Il était alors temps d’essayer de démarrer la bête.

   Rose poussa un gros bouton vert sur le panneau de commande, juste à côté d’un bouton rouge d’arrêt d’urgence. On entendit alors le bruit du métal qui chauffe, et Rachid se chargea de tourner la manivelle de démarrage. Il moulina un grand coup, et dans un vrombissement de diesel accompagné d’un écran de fumée opaque (ainsi que les odeurs qui vont avec), le générateur démarra, leur procurant une joie intense. Quelques secondes plus tard, les lumières tierces s’allumèrent, et les pièces devinrent alors beaucoup moins sombres : l’électricité était en partie revenue dans la base. Il fallait maintenant laisser le générateur relancer tranquillement la turbine. Les deux amis rebroussèrent chemin, et se dirigèrent vers la salle des balises.

   Elle était immense et ne contenant qu’un bureau, ainsi qu’une armoire électrique recouverte de bouton et de diodes luminescente rouges et vertes.

   Typiquement la base secrète des années 60…, pensa tout haut Rachid qui contemplait la salle avec de grands yeux.

   Sur le mur au fond, il y avait une immense carte du monde, sur laquelle il y avait aussi des diodes. Rose se rapprocha du bureau avec Rachid. Dessus, il y avait deux gros boutons protégés par des clés rattachées à une chainette. Sur le premier bouton, il était indiqué, en anglais « Balises fixes activées », et sur le deuxième, toujours en anglais « lancer un appel ». A côté des deux boutons, il y avait une petite caisse en bois, dans laquelle une centaine d’espèces de petites clés USB étaient rangées.

   — Ce sont des… commença Rachid.

   — Balises mobiles ? Oui s’en est. Je pense qu’on va en ramener quelques unes, ça risque d’être utile. Bon, voyons voir.

   Rose se dirigea vers le premier bouton, tourna la clé, et appuya dessus. Malheureusement, il ne se passa rien. Elle se dirigea vers l’armoire électrique : toutes les diodes étaient éteintes. Elle regarda s’il y avait du courant qui circulait dans l’antenne relais : rien, aucune diodes d’allumées. En fait, les seules diodes qui indiquaient du courant, étaient celles de la lumière.

   — Bon, et bien, on va devoir attendre je pense, déclara Rose avec calme.

   Elle referma la porte en verre de l’armoire, poussant les derniers centimètres pour la claquer.

   — Ça te dirait d’aller visiter les chambres et le réfectoire ? J’ai faim et grandement besoin de me laver !

   — Je ne peux que te répondre par l’affirmative ! lui répondit Rachid en lui montrant son pull couvert de graisse sale.

   Ils rebroussèrent chemin, prirent de quoi se laver et se changer, et se dirigèrent vers le couloir des chambres et des salles d’eau. Rachid fut agréablement surprit par l’aspect de ces chambres. Bien qu’elles sentaient fortement la poussière, elles étaient assez luxueuses ; elles ressemblaient à des cabines de bateaux de luxe, tout en bois, avec un beau bureau dans chacune d’elles, bien qu’il y ait différentes tailles de chambres. Et surtout, et Rachid ne s’y attendait pas, toutes les chambres avaient une fenêtre, avec une vue sur la mer. Rose s’arrêta devant la troisième porte ; au dessus, il y avait le symbole d’un petit mustélidé, avec écrit à côté, en blanc et noir, « HoneyBadger ».

   — C’est ma chambre ! s’exclama-t-elle. Et celle d’à côté c’est celle d’Hilda et de Luigi.

   La chambre de Rose était identique aux autres, si ce n’est qu’il y avait des anciennes photos personnelles d’elle, de vieux costumes qui lui appartenaient ainsi que des armes. Elle était assez grande, avec une salle de bain dans laquelle il y avait un lavabo, une grande douche et une baignoire. Elle fit couler de l’eau, et fut ravi de la sentir chaude.

   Rachid s’installa dans la chambre numéro 2, et installa son matériel de diffusion radiophonique. Ils passèrent le reste de la soirée à se détendre, Rose prenant des nouvelles de sa chère et tendre, ainsi que de son équipe, bien qu’il n’y avait rien de nouveau. Le manque que lui procurait Sophie lui fit lourdement comprendre la place qu’elle tenait.

   Ils mangèrent dans le réfectoire qui était grand et convivial, les murs de pierre de la montagne lui donnant même un côté auberge d’antan avec son bar en bois laqué. Ils rigolèrent en se remémorant des anecdotes de leur passé commun, et Rose raconta des ragots sur sa nouvelle équipe. Rachid utilisa les dernières heures avant minuit pour diffuser son émission de radio, puis ils allèrent chacun se coucher dans leurs chambres respectives. Retrouver un matelas confortable et des draps secs leurs firent à tout deux un bien considérable, si bien qu’ils eurent du mal à se lever le matin.

   Ils déjeunaient ensemble, dans la pénombre des lumières tierces, quand soudain, ils entendirent un ronronnement très satisfaisant, et les lumières secondaires et principales s’activèrent dans le réfectoire en cliquetant. Rose en recracha ses céréales et la bouche à moitié pleine, s’exclama :

   — La turbine remarche !

   Ils coururent alors vers la salle des balises : toutes les diodes sur le tableau électrique étaient au vert. Rose ressentit l’excitation du moment lui traverser le corps, ses poils sur les bras se hérissèrent. Elle s’approcha du bureau, regarda Rachid, puis tourna la clé et appuya sur le bouton. Il y eut un grand clic. Tous les deux ne quittèrent alors plus la carte des yeux. La première diode qui s’alluma fut celle qui se situait en Normandie :

   — C’est nous, c’est logique, elle se situe au hangar et je l’active tous les deux mois, précisa Rose.

   Puis il y eut celle de Rachid à Amiens ; une au Sénégal, une à Francfort, une près de Oslo, une au Japon, et enfin une en Irlande.

   — Six. Sept en tout, en nous comptant nous. C’est relativement peu, déclara Rose avec un air déçu.

   — Je trouve cela énorme, relativisa Rachid. D’une part, il y a peu de météores qui trouvent preneur. D’autre part, cela fait 30 ans que ce système n’a pas été utilisé, et il n’est pourtant pas tombé dans l’oubli ; je pense qu’il y a d’autres suprahumain perdus qu’on ne détecte pas. C’est même certain. Enfin, dernier point positif, des suprahumains se portent garants en activant ces balises.

   Rose garda le silence en réfléchissant à ce que Rachid venait de lui dire.

   — Tu as raison, et on doit déjà aller voir ceux-là. Je pense qu’on devrait commencer par le Sénégal, puis on ira en Irlande, cela me permettra de revoir ma terre, de faire un tour au Refuge.

   La silhouette d’un arbre, profondément enfoncée dans les méandres de sa mémoire, ressurgit comme un train au fond d’un tunnel. Elle eut un pincement au cœur, et s’accrocha au bureau pour ne pas fléchir. Heureusement, Rachid ne le remarqua pas. Cinq ans qu’elle ne lui avait pas rendu visite. Elle devait la voir.

   — En fait, j’ai pas mal de choses à faire là-bas, déglutit elle en appuyant chaque syllabes pour ne pas paraître faiblir.

   « Après, reprit-elle avec un peu plus d’aplomb, nous irons à Francfort voir nos vieux amis, et nous finirons par la Norvège.

   — J’ai hâte de revoir ce bon vieux Luigi, dit Rachid avec une joie que l’on remarquait clairement dans sa voix. Et le Japon, tu en fais quoi ?

   — Au Japon, c’est Anticipation, c’est sûr. Ils se connaissent bien avec Laurent, car ils travaillent sur le même sujet, alors je le laisserais le contacter.

   Rachid hocha la tête. En avant pour le road-trip !

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