10. Atkos

Par Hinata

Les deux corps se mêlaient pour ne faire plus qu’un. Puis ils s’éloignaient avaler une bouffée d’air saturé de poussière, avant de se retrouver dans un enchevêtrement de plumes, de cornes et de sabots.

Plus le moindre brin d’herbe ne subsistait sous le pied des deux combattants. Ça ne datait pas d’aujourd’hui. Dès les premiers jeux, le tapis verdoyant de la Plaine avait disparu de l’arène. Il n’y avait plus que la poussière. Et les cris, aussi. Atkos avait l’impression que la clameur des gradins densifiait encore l’air déjà irrespirable. Il suffoquait mais se forçait à rester malgré tout concentré sur le combat. Il était venu pour ça, pas question de renoncer maintenant.

Tout à coup, un cri d’un tout autre type éclata. Un hurlement de douleur tel qu’Atkos en avait rarement entendu. L’espace d’un instant, les spectateurs se turent. Le temps pour le combattant blessé de s’éloigner d’un coup d’ailes du centre de l’arène et du faune aux cornes ensanglantées qui s’y tenait. Les huées reprirent aussi brusquement qu’elles avaient cessé.

Atkos ne comprenait rien à ce que les gens criaient autour de lui. Probablement des encouragements. Leur champion en avait visiblement besoin. Et les membres de l’autre clan, dans l’autre moitié des gradins, hurlaient-ils à leur combattant d’achever l’Ailé qui pressait les bras sur son abdomen, recroquevillé pitoyablement entre ses grandes ailes noires ?

Le faune n’avait pas l’air pressé de porter le coup de grâce à son adversaire. Contrairement à l’autre, il se tenait bien droit, fièrement campé sur ses jambes de bouc. Mais ce n’était pas seulement par fierté qu’il restait immobile debout au centre de l’arène. Sa poitrine se soulevait anormalement à chacune de ses respirations. Il reprenait son souffle. Le combat durait depuis un moment. Sans être gravement blessé, et malgré l’endurance naturelle des faunes, il était éreinté.

Le regard d’Atkos fila de nouveau vers le champion de son clan. Le blessé avait pivoté de sorte que ses ailes noires le cachaient complètement vu de là où il était. Tant mieux, Atkos n’avait pas très envie de voir si ses viscères allaient oui ou non lui sortir du corps. C’était peut-être mieux si l’Ailé mourrait maintenant, s’il s’affalait dans la poussière et s’arrêtait de respirer. Le jeu serait terminé. Il n’y aurait pas une de ces agonies interminables, avoisinant franchement la torture, dont Jym lui avait parlé.

Jym avait voyagé dans un autre clan pendant trois ans, un clan qui avait une arène transportable, exactement comme celle-ci. Et là où il y avait une arène, il y avait des jeux. Et parfois des jeux « à l’ancienne », comme celui-ci. Jym en avait vus pas mal, des combats à mort. Aujourd’hui, c’était au tour d’Atkos. Non, il ne voulait pas que ça se termine tout de suite. Il voulait un combat digne de ce nom.

« Atkos … »

Il tourna aussitôt la tête pour voir qui l’appelait, mais c’était toujours la même foule inconnue qui l’encerclait de toute part. Il aurait pourtant juré qu’on lui avait parlé au creux de l’oreille ; sans cela, il n’aurait d’ailleurs rien pu entendre dans le brouhaha ambiant.

L’appel s’éleva de nouveau, à la fois infime et assourdissant, comme un écho lointain et fracassant, comme si…

Atkos se contorsionna pour apercevoir derrière lui le haut du poteau le plus proche. Perché là-haut, Brag lui faisait signe avec cette espèce d’air goguenard qui ne le quittait jamais. C’était le frère d’Atkos qui le qualifiait ainsi. Goguenard ou pas, Brag était son ami. Ami qui de fait, ne perdait pas une occasion de le charrier. Et il en avait une belle, présentement. Atkos assistait au combat dont il avait rêvé, mais il était forcé de le faire depuis les gradins, contrairement à tous les Ailés. Comme l’air devait être doux au sommet des poteaux. Et la compagnie agréable, à en juger par la jeune fille que Brag tenait assise sur sa cuisse. C’était sûrement son Don à elle qui avait porté la voix de son ami jusqu’à l’oreille d’Atkos.

« T’es tellement pas discret avec tes ailes de pégase blanc comme les nuages, se moqua justement un courant d’air en lui chatouillant la nuque. S’il passe par ici, ton frangin va te repérer direct… »

S’il avait eu aussi un Don de l’air sous le coude ⸺ ou sur le genou, au choix, Atkos aurait répliqué à Brag que son grand frère ne risquait pas de s’aventurer au-dessus de l’arène tant que ce combat ne serait pas terminé. Mais il pouvait très bien surveiller les poteaux depuis l’extérieur de l’arène pour vérifier que son cadet n’y était pas perché.

« Oh regarde, bébé, ça recommence. »

Atkos haussa un sourcil avant de comprendre que Brag ne s’adressait pas à lui mais à la Révélée, qui avait transmis le message sans réfléchir. L’information le fit se retourner de nouveau vers l’arène. Il se haussa de son mieux pour voir le combat qui reprenait. Quelqu’un heurta une de ses ailes dans le mouvement général des gradins qui bouillonnaient d’impatience. Atkos ignora la bousculade, trop accaparé par les pas lents que le faune faisait en direction de son adversaire.

L’Ailé blessé longeait les parois de l’arène, gardant le plus possible ses distances sans toutefois quitter l’ennemi des yeux. Il avait tout d’un animal acculé par les chasseurs. Atkos en avait achevées plus d’une, des proies épuisées à force de fuir. Qu’avait-il ressenti à ce moment-là ? Il ne se rappelait plus. Qu’est-ce que le faune ressentait, lui, dans cette arène ? Avait-il soif de sang, vraiment ? Non, la soif de sang, c’était bon pour les temps de guerre. Tout ça n’était qu’un jeu. Il s’agissait de gagner, voilà tout. Mais est-ce qu’il n’avait pas déjà gagné, et l’Ailé déjà perdu ?

Comme pour confirmer cela, le champion de son clan s’écroula tout à coup dans la poussière, ses grandes ailes étendues mollement de part et d’autre de son corps. Les spectateurs les plus proches se pressèrent au bord de l’arène pour voir ce qu’il se passait au pied de la paroi.

Il régnait toujours un bruit sans nom, mais Atkos ne put s’empêcher de trouver l’atmosphère étrangement calme. Il vit clairement le faune, comme s’il n’y avait pas une foule et la moitié de l’arène entre eux, fléchir ses jambes et se propulser d’un bond dans le ciel comme leur race sait si bien le faire. Il allait atterrir sur le dos nu de l’Ailé, lui briser les os d’un grand coup de sabots. Atkos le savait, il ne voulait pas voir ça, il en souffrait d’avance à la place du gisant, et pourtant il ne détourna pas le regard.

Même sans cligner des paupières, le déroulement des évènements fut presque impossible à suivre. L’Ailé se redressa d’une pirouette, esquiva les jambes du faune qui fendaient l’air et au moment où son adversaire touchait le sol, il était déjà passé derrière lui et serrait un bras autour de sa gorge. Son agilité sidérante, l’étau qu’il maintenait sur le cou du faune, le furieux battement d’ailes qui les souleva tous les deux au-dessus du sol : Atkos ne comprenait rien, pourtant tout était là, se déroulait sous ses yeux.

Les jambes de bouc ruaient rageusement de tous les côtés, sa tête essayait de bouger pour donner des coups de cornes, ses bras agrippaient ceux qui l’étranglaient pour leur faire lâcher prise, mais en vain. Porté par ses ailes, impitoyable dans son étreinte, l’Ailé s’imposait en maître.

Après la rapidité ahurissante du retournement de situation, cette scène sembla durer, s’étendre paresseusement dans le temps. Les mouvements du faune finirent toutefois par se faire moins violents, de plus en plus spasmodiques. Il ne faudrait sûrement pas longtemps avant qu’il ne …

Meure. Trop tard. Il était mort. L’Ailé venait de briser la nuque de son prisonnier. Il laissa tomber le cadavre qui s’écroula dans la poussière de l’arène. Les gradins tonnèrent plus bruyamment que jamais.

Atkos aurait dû suivre le mouvement, il était plutôt doué pour ça d’habitude. Mais non, il était absolument incapable d’applaudir le champion de son clan. Pas qu’il ne le voulait pas, mais son corps ne lui répondait plus. Ses yeux restaient malgré lui fixés sur cet autre corps, et il avait beau se faire violence pour détourner la tête, même simplement le regard, rien n’y faisait. Il y avait quelque chose d’hypnotisant dans ce cadavre hybride, le premier qu’il ait jamais vu.

Les membres du faune prenaient tous des angles improbables. Il n’avait plus l’air d’un guerrier, ni même d’un perdant. Ce n’était plus qu’un pantin de bois et de tissu, comme ceux que l’on agite devant les enfants. Un pantin cassé. Impossible à réparer. Mort. Ce n’était plus un homme, là. Ce n’était plus que…de la viande.  

Atkos se sentit malade. Non, non, non. Il s’était promis de ne pas… Grande inspiration. Expiration. Bon, ça passait. Ne plus penser à ce cadavre étendu juste là en bas. Quitter l’arène, rejoindre ses amis.  

Ce n’était pas comme s’il avait vraiment le choix, de toute façon. Le combat était fini et déjà les gradins se vidaient. Atkos se laissa maladroitement emporter par le flot de gens, tout en s’efforçant de limiter les dérangements que causaient ses ailes. Il avait heureusement, pour compenser, l’avantage d’avoir des sabots au lieu d’orteils : personne ne pouvait lui écraser les pieds.

Enfin, cette marée hybride lui fit quitter les gradins branlants de la petite arène transportable. Atkos s’éloigna rapidement de la foule qui rejoignait le campement, et déploya aussitôt ses ailes. Il étira du même coup le reste son corps engourdi, jouant des épaules et se massant la nuque. Puis il s’envola dans le ciel.

L’air frais des hauteurs acheva de faire partir l’ombre de nausée qui l’avait saisi. Il se sentait mieux, physiquement, mais son état d’esprit n’était pas celui qu’il aurait aimé. Depuis le temps qu’il attendait qu’un hybride de son clan participe à un combat comme celui-ci, et leur champion avait gagné, qui plus est. Il devrait être content. Satisfait. Alors…

− Atkos !

C’était de nouveau la voix de Brag qui lui éclatait dans l’oreille, mais sans aucun souffle de vent interposé. Atkos évita de justesse son ami qui fonçait droit sur lui.

− Alors ? T’as tout vu, même écrasé dans les gradins ? C’était incroyable, non ?

Qu’est-ce qu’il pouvait bien répondre ? Déjà que ses amis le taquinaient allègrement sur le fait qu’il était interdit de jeux par ses parents et se cachait de son grand frère…

Un concert de sifflements énergiques le sauva du dilemme. En bas dans l’herbe, leurs amis appelaient Brag et Atkos en leur faisant signe de descendre les rejoindre.

− Premier arrivé, lâcha Brag avant de piquer vers le sol.

Atkos se lança immédiatement dans la course. Si cet Ailé croyait gagner, il se fourrait la plume dans l’œil. Au moment où son ami ralentissait imperceptiblement pour gérer son atterrissage, lui-même accéléra encore. Il fut à deux doigts de rouler dans l’herbe, emporté par son élan, mais comme prévu, ses jambes de bouc amortirent le choc. Un cri victorieux lui échappa. Il entendit Brag pester à côté de lui, comme quoi ça s’était joué à presque rien cette fois et qu’il comptait bien gagner un jour contre cette satanée paire de sabots.

− Bien joué, Atkos, rirent leurs amis qui n’avaient rien perdu de la compétition.

Hormis les centaures, ils étaient tous là. La discussion dévia rapidement sur le combat.

 − Oh là, là, j’y croyais tellement ! Franchement, son cri ! Et comment il est resté super longtemps, en se tenant le ventre, et il marchait à deux à l’heure…

− Tu parles, ça se voyait qu’il faisait semblant. Il y avait même pas de sang !

− Bien sûr que si ! T’as des écailles à la place des yeux, ou quoi ? T’as pas vu le coup de corne ? Il était vraiment blessé, juste pas autant qu’il l’a fait croire.

− C’est vrai, ça. D’ailleurs les soigneurs ont foncé direct sur lui à la fin. C’est quand même sérieux, je pense.

− M’est avis que le champion va pas se pointer à la soirée.

− Sûrement pas…

− Dommage, pour une fois qu’il gagne un vrai combat !

− N’empêche, c’est tout le clan qui a gagné ! Vive nous ! Les gens du Zéphyr n’ont qu’à bien se tenir !

− Ouais, on les a battus dans leur propre arène, si ça c’est pas la classe !

− Ohé, commencez pas à vous vanter, les grandes gueules. On veut pas encore vous sauver d’une baston à la con, ce soir !

Atkos prit bien soin de se tenir hors de la conversation, ne manquant pas cependant de profiter du spectacle que donnaient ses amis. Il fut le premier à remarquer Gil’hem qui marchait au pas dans leur direction, mais c’est Jym qui l’annonça aux autres.

− Regardez qui se pointe enfin, rigola-t-il en courant à la rencontre de Gil’hem.

D’un bond, le faune se percha à califourchon sur le dos du centaure et commença à lui ébouriffer les cheveux. Malgré le sourire de Gil’hem, Atkos ne put s’empêcher de lui trouver l’air sombre. Cela ne lui ressemblait pas. Il préféra en avoir le cœur net et demanda avant que ses amis ne racontent le combat au centaure :

− Tout va bien ?

− Oui, répondit Gil’hem en chassant les mains de Jym, qui tripotait ses colliers avec curiosité.

− Tu es sûr ? insista Atkos.

Son ami baissa la tête vers lui et maintint son regard avant de se détourner avec un rire gêné.

− Ces yeux que tu as, j’ai l’impression qu’ils peuvent lire dans les pensées…

Non, ses iris étaient bleues, mais pas magiques. D’ailleurs, Atkos n’avait rien d’un médium.  Au contraire, il était plutôt à côté de la plaque de manière générale. Pas vif d’esprit comme son frère. Mais il avait de l’instinct, paraissait-il. Et son instinct lui soufflait que Gil’hem avait quelque chose à dire.

− Bon alors, s’impatienta Jym sur son dos. Tu nous dis ce qui t’embête ou tu dragues le pégase aux yeux bleus ?

− C’est juste que…ma mère a fait un rêve inquiétant aujourd’hui.  

− Un rêve prémonitoire ?

Il hocha la tête. Cela ne surprit personne. La famille de Gil’hem lisait souvent des présages dans les étoiles, et bon nombre de fois le cours des évènements avaient confirmé leur talent certain pour la divination.

− Et alors, raconte !

− Du sang va couler dans la Plaine, beaucoup de sang. Le nôtre.

Un silence plana quelques instants, puis ils se mirent tous à pouffer, avec plus ou moins de retenue.

− C’est pas une blague, c’est vraiment ce qu’elle a vu, assura Gil’hem. Il y avait aussi une histoire de corbeaux. Des corbeaux qui allaient fondre sur nous et…tous nous tuer, basiquement.  

Atkos rigolait aussi, parce qu’il n’avait jamais entendu une prophétie aussi dramatique, c’en était vraiment ridicule. Mais une part de lui s’inquiétait, aussi. Parce que les présages n’étaient pas à prendre à la légère, surtout quand ils apparaissent aux centaures.

− J’ai compris ! s’exclama tout à coup Zacharias.

Sa queue reptilienne ondula fièrement dans son dos tandis qu’il expliqua :

− Ta mère a simplement rêvé du combat ! Le sang, on l’a tous vu. Et les corbeaux, ce sont les ailes noires du champion !

− Mais oui, c’était un avertissement pour le clan du Zéphyr en fait.

− Dommage que ce soit trop tard pour eux.

− Allez, détends-toi Gil’hem ! Et toi aussi, Atkos !

Ils ne se le firent pas dire deux fois. C’était du reste difficile - voire impossible - de rester maussade en telle compagnie.

− Oh oh. Désolé, Atkos, je retire ce que j’ai dit, y a de la tension dans l’air pour toi.

Atkos ne comprit pas pourquoi son ami disait ça jusqu’à ce que la silhouette sombre de son grand frère entre dans son champ de vision. N’ayant aucune envie de se retrouver mêlé à leurs histoires de famille, tout le monde se dépêcha de quitter les lieux.

− J’ai été heureux de te connaître, lui lança Jym avec un clin d’œil.

− Allez, te laisse pas faire, beau pégase, lâcha Brag avant de rattraper les autres d’un coup d’ailes.

L’instant d’après, son frère atterrissait à côté de lui dans un tourbillon de plumes noires.

− Yo Atkins, qu’est-ce qui t’amène ?

Le regard sévère qu’il reçut confirma immédiatement à Atkos que son frère savait tout de son escapade à l’arène. Peu importe. Il était adulte maintenant. Le temps où ses parents le gardaient dans la tente pour l’empêcher d’assister à des « horreurs », était bel et bien révolu.

– C’était le dernier jeu, plaida-t-il, décidé à ne pas se laisser réprimander comme un gosse.

– Un combat à mort, le reprit Atkins. Ça n’a plus rien d’un jeu ! Je n’arrive pas à croire que notre chef ait donné son accord pour cette barbarie.

– Ce n’est pas barbare, c’est une compétition.

– Un jeu ordinaire aurait largement suffi ! Ils sont déjà assez violents comme ça, mais là… Vraiment, quel besoin y-a-t-il de prouver sa force en tuant ?

Atkos haussa simplement les épaules. Son frère s’emballait toujours à ce sujet. Pris par l’émotion, il ne se rendait pas compte que son discours était toujours le même. Atkos connaissait par cœur ses arguments, d’autant que son frère répétait ceux que leur avaient déjà assené leurs parents.

Sa famille était de celles qui n’approuvaient pas certaines traditions hybrides, celles qu’ils considéraient trop bestiales ou cruelles. Les jeux « à l’ancienne » en était une, tout comme la coutume pour les jeunes chasseurs et chasseresses − mais que peu observaient encore − de partir seul dans la Plaine à la recherche d’un fauve à qui se mesurer, et de ne pas revenir avant de l’avoir tué et dépouillé de ses griffes.

Oui, on pouvait trouver ça absurde, ou penser au contraire que c’était là une façon comme une autre de forger un peuple sûr de sa force. Son grand frère lui répliquerait encore une fois qu’être fort n’était pas nécessaire. A ça, Atkos n’avait rien à répondre.

À dix-huit ans, il n’avait pas participé à un seul jeu. Sa famille l’en félicitait, ses amis l’en taquinaient et d’autres se moquaient ouvertement. Tous les garçons et les filles de son âge pouvaient se vanter d’avoir fait ne serait-ce qu’un combat dans l’arène.

Mais au fond, ce n’était pas tant la force d’Atkos qu’on remettait en cause. Après tout, chaque jeu avait son perdant. Il n’y avait rien de honteux à déclarer forfait face à un adversaire plus fort ou plus rapide que soi. Non, bien pire que de ses aptitudes, c’était de son courage dont les gens doutaient. Et, malgré les discours de son père sur la lâcheté de la violence et le courage de marquer sa différence, Atkos n’aimait pas ça.

− Tu ferais mieux de passer ton temps à t’améliorer au tir à l’arc, comme Papa te l’a dit. Au moins, à la chasse, gagner sert à quelque chose.

Atkos ne put s’empêcher de rouler des yeux. Son grand frère était toujours d’accord avec leur père. Ils étaient tous les deux patients et réfléchis, toujours à penser plus que tout le monde, mais attentifs à ne pas le faire sentir. Cette humilité était leur plus grande qualité, c’était ce que tout le monde disait. Lui, qui vivait avec eux, trouvait leurs humbles avis franchement agaçants. D’autant qu’Atkins avait l’air d’oublier un peu trop souvent qu’il n’était que son grand frère, pas son deuxième père.

− Je m’en sors parfaitement bien au tir à l’arc, fit-il sèchement remarquer.

− Ce n’est pas ce que ton dernier groupe de chasse a laissé entendre…

− Evidemment ! Ce sont presque tous des Révélés ! Mes flèches aussi voleraient mieux si je pouvais contrôler ce foutu vent !

Atkins fronça sévèrement les sourcils. Il n’aimait pas entendre salir comme ça le nom du vent, et encore moins dans la bouche de son petit frère. Mais Atkos ne comptait pas s’excuser. C’était la vérité. Il faisait déjà de son mieux, et contrairement à ce que son père croyait, il n’avait pas arrêté de s’entraîner. Ne serait-ce que pour espérer arriver un jour au niveau de Mistith…

Pff, elle n’était pas Révélée, elle, et pourtant Atkos avait l’impression que jamais il ne pourrait l’égaler. Mais s’il s’en approchait simplement, peut-être qu’elle le regarderait…

– Atkos ?

– Hum ?

Toute trace de mécontentement avait déserté le visage de son frère. Au contraire, il s’était radouci. Ce qui tombait bien étant donné qu’Atkos lui-même ne se sentait plus fâché. C’était toujours comme ça avec eux. Leur plus longue dispute avait duré une journée, et toute la famille s’en souvenait comme d’une chose incroyable. 

– Ne dis pas aux parents que tu es allé voir ce combat.

– Pourquoi pas ? crâna Atkos. J’ai déjà entendu mille fois leurs sermons, une fois de plus ne me tuera pas.

– Maman m’avait explicitement demandé de te surveiller.

– J’en étais sûr, ronchonna Atkos. Elle croit encore que j’ai dix ans.

Puis il réfléchit :

– Mais attends…Qu’est-ce que tu faisais, alors, au lieu de me surveiller ?

Son grand frère lui décocha un sourire qui ressortit sur son teint.

– Lally ? devina Atkos.

Le sourire de son frère s’élargit. Depuis le temps qu’ils se tournaient autour ces deux-là… Depuis l’enfance, à vrai dire, mais à l’époque c’était surtout parce que Lally était la seule faune ailée du clan à avoir à peu près leur âge. Même si leurs meilleurs amis étaient d’autres races, c’était toujours agréable de ne pas se sentir les seuls « double-hybrides ».

D’autant que si Lally, elle, avait la chance de venir d’une famille où tout le monde était faune-ailé, ce n’était pas le cas des deux frères. Entre un père Ailé et une mère faune, ce n’était pas toujours évident de se sentir pleinement compris.

− Elle était vraiment mal de savoir que le chef avait encore accepté un combat comme ça en guise d’au revoir, lui apprit Atkins avec un sourire tout à coup bien plus triste.

Il ne lui apprenait rien, en fait. Evidemment que ce combat ne plaisait pas à Lally. L’une de ses tantes était morte dans l’arène un jour comme celui-ci. Personne n’aurait cru qu’elle puisse perdre. Avec ses atouts combinés de faune et d’Ailée, elle avait l’avantage. C’était bien pour ça que beaucoup d’hybrides comme eux devenaient des champions. Mais elle était tombée sur plus fort qu’elle. C’était le jeu.

En repensant au faune mort un moment plus tôt dans l’arène, Atkos se sentit de nouveau à deux doigts de vomir. Pour rien au monde il ne l’aurait avoué à Atkins, mais avoir finalement assisté à un de ces combats changeait un peu son avis sur leur bien-fondé.

Quelque chose, au fond de ses tripes, lui hurlait que c’était une façon stupide de mourir. Qu’il n’y avait rien de pire, déshonneur ou pas, que cette mort, la fin absolue, le néant. Un moment on était vivant, l’instant d’après on ne l’était plus.

Atkos sentit la tête lui tourner. Il aurait sans doute vacillé sur ses jambes si son frère ne lui avait par hasard rendu l’équilibre d’une main sur l’épaule. 

– Allez, viens. On a bien assez traîné comme ça.   

Tout en reprenant ses esprits, Atkos le regarda s’éloigner à grandes enjambées. Le soleil amorçait sa descente dans un ciel clair. C’était un moment rêvé pour planer là-haut, porté par les airs. Il en aurait bien besoin.

– Ça ne te dirait pas d’aller voler un peu ? demanda-t-il à son frère d’une voix forte. Il fait un temps parfait.

– Il fait un temps parfait tous les soirs, fit remarquer Atkins en se retournant. Et ce soir, on ne peut pas.

Bien sûr qu’ils ne pouvaient pas. Beaucoup de préparatifs les attendaient à la tente en vue du départ, prévu le lendemain. S’ils tardaient encore, ils finiraient par ne pas pouvoir profiter de la dernière soirée.  

– Pas tous les soirs, fit remarquer Atkos en rejoignant finalement son frère. Tu te souviens de la tempête de l’année dernière ?

– Oui, sourit Atkins. La tente s’était envolée et il avait fallu nous y mettre à trois pour la rattraper.

Ils en parlèrent jusqu’à la tente, où les attendaient leurs parents. Aussitôt, ils se mirent au travail. Tout devait être prêt pour le départ du lendemain. Mais ils avaient l’habitude.

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Notsil
Posté le 06/06/2020
Oh, un emplumé ^^ C'est intéressant d'avoir hybridé les hybrides, et puis ce souci du détail avec l'amorti de l'atterrissage et tout ! Ce peuple-là parait plus violent que les autres.

Cette fois on a une prophétie, que je n'écarterai pas aussi facilement que les jeunots. Qu'il profite, Atkos, parce que sa vie risque de changer sous peu :)

Un parent faune et un parent ailé ça donne un faune ailé. Et du coup, un faune ailé avec un écailleux ? Tous les combinaisons sont possibles, ou pas, du coup ? Genre à coup de gènes dominants éventuellement ?
Hinata
Posté le 08/06/2020
C'est chouette que tu remarques un peu les détails ^^
Quand tu dis "hybrider les hybrides" tu fais référence aux faunes ailés?

Oh et d'ailleurs j'en profite pour te partager une réponse que j'ai faite à une autre Plume qui se posait des questions sur les possibilités de match entre hybrides ^^
" les centaures ne se reproduisent pas avec les autres espèces, mais bon, je suppose que ça n'empêche pas des contacts rapprochés sans aller jusqu'à copuler hem hem...
Les Ecailles peuvent avoir des rapports avec faunes et Ailés mais sans possibilité d'engendrer avec eux. Et les faunes et les Ailés sont "compatibles" d'où l'existence d'une cinquième race très minoritaire : les faunes ailé-e-s
Voilàà tu sais tout ^^ "

Les gènes dominants se manifestent plutôt dans les couples entre les autres races (elfes, nains, nymphes, humains), mais je n'ai pas encore établi précisemment quelles sont les caractéristiques des différents sang-mêlé.e.s ^^

Haha, toutafé, Atkos ferait bien de profiter avant que ça tourne mal ...

Merci beaucoup pour ta lecture et tous tes commentaires, c'est super cool d'avoir ton ressenti et de pouvoir un peu discuter ^^
Notsil
Posté le 08/06/2020
C'est super marrant parce que j'ai un peuple de centaures et j'ai fait comme toi, pas de repro avec les espèces "humanoïdes" dirons-nous :p Merci pour la réponse, on voit que c'est travaillé ^^
Hinata
Posté le 08/06/2020
Haha bon, tant mieux si on peut se conforter un peu l'une l'autre dans nos choix alors ^^
Et pas de quoi, c'est un plaisir !
_HP_
Posté le 05/06/2020
Coucou !

Ce peuple est très intrigant ! J'ai hâte de voir comment va se dérouler le départ, ça va pas être tout calme à mon avis 😄
Et la prophétie... A mon avis, elle ne concerne pas le combat, comme l'a pensé Zacharias :/ J'ai hâte de voir ce qui va se passer et en même temps j'ai pas envie du tout que ça se réalise 😄
En tout cas j'apprécie découvrir différents royaumes, différentes coutumes, différents personnages, différents points de vue ; et tu réussis à faire ça si bien qu'on ne s'emmêle pas ! :p
Hinata
Posté le 06/06/2020
Oui, je comprends, le peuple hybride est un peu complexe à cause de toutes les races différentes, puis le fonctionnement en clan, etc... Tant mieux si ça t'intrigue plus que ça ne te perd haha

aah je comprends, cette prophétie fait un peu peur quand même > <

Ooooh merci, je suis toujours soulagée quand on me dit que c'est pas trop le bazar dans la présentation de cet univers <3
Alice_Lath
Posté le 29/04/2020
Aaah, voilà donc le monsieur de la couverture, Aktos. En tout cas, j'ai un mauvais pressentiment pour leur départ du soir, tout ça sent quand même nettement le calme avant la tempête et quand la tempête va souffler, ça promet d'être sacrément énervé. J'ai aussi l'impression qu'il y a beaucoup plus de Révélés chez les hybrides? Ce n'est peut-être qu'un ressenti après haha. En tout cas, ça va salement secouer dans sa famille et ses amis
Hinata
Posté le 29/04/2020
Oui c'est lui-même ^^
Oh ho j'aime beaucoup ta petite métaphore filée de la tempête, qui se trouve être d'ailleurs fort "accurate" hinhin
Hum non, y a pas plus de Révélés chez les hybrides, mais c'est vrai qu'ils sont plus présents dans ce chapitre, faudrait peut-être que je rajoute des allusions dans les autres royaumes ...
Merci pour ta lecture !
Xendor
Posté le 07/01/2020
Je suis intrigué par Aktos et son frère. Parce qu'en même temps il y a un désir de faire plus humain et de l'autre ils manifestent des penchants bestiaux en participant activement ou passivement à des combats à mort. Donc pour l'instant je ne sais qu'en penser.

Par contre, ça sent très fort l'entourloupe avec la prophétie. Ils vont avoir mal, c'est une chose certaine. J'espère que Aktos saura choisir entre la bête, et la part "humaine" qui est en lui. Se ranger aux opinions de sa famille, ou de ses amis.
Hinata
Posté le 07/01/2020
Oh j'aime bien les réflexions que le peuple hybride suscite chez toi !

Héhé, ce rêve prémonitoire est quelque chose que j'ai rajouté au dernier moment, je suis contente de l'effet ^^

Est ce qu'il lui faudra choisir... C'est une bonne question. Ce qui est sûr c'est qu'en l'état actuel des choses, Atkos est plutôt confus...

Merci Xendor pour ton commentaire ! Je me répète mais c'est vraiment motivant ! Promis je vais essayer d'accélérer dans mes mises à jour !
Xendor
Posté le 07/01/2020
Tkt ^^ je crois qu'on a tous un peu le même problème niveau mise à jour 🙂

Bigre ! Tu te rends compte que jusqu'à présent la seule vision que j'avais des hybrides était celle de C.S Lewis ? Voir un faune armé, ça m'a fait un peu bizarre. Mais je suis content justement, du coup j'ai envie de savoir jusqu'où va leur "humanité" ainsi que leur "bestialité". Parce qu'avec ce qui se profile à l'horizon, le choix va sûrement rapidement s'imposer à eux. 🤔🧐
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