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Les premiers rayons du soleil filtrent à travers les carreaux impeccables du dortoir, réchauffant ma peau encore engourdie par la fraîcheur nocturne. Ceux qui dorment dans les autres lits commencent à se lever, mais je n’ai pas la force d’ouvrir les yeux. Lorsque la porte du dortoir émet un léger grincement en s’ouvrant, je m’oblige pourtant à le faire.

Mes yeux se posent automatiquement sur la fenêtre attenante à mon lit qui est une des rares source de lumière naturelle de la pièce. Celle-ci est à moitié bouchée par le lierre qui recouvre partiellement la façade de l’imposant bâtiment. J’ai toujours trouvé étrange le contraste entre les vitres impeccablement lavées du dortoir et la végétation qui les recouvrent, de façon à ce qu’on puisse facilement penser que personne ne s’en est jamais préoccupé.

Je frémis au contact de mes pieds nus avec le sol glacé. La sensation n’est pas désagréable, au contraire, elle me rappelle que je suis vivant. Je n’ai pas à me plaindre de la vie que je mène à l’Observatoire des Lumières. Je sais que tout y est fait pour créer un monde meilleur -bien que ce qu’on me fasse faire n’a à mes yeux ni queue ni tête-, mais les érudits se ressemblent tant, ils sont si homogènes, que j’ai parfois l’impression de ne plus exister en tant que personne.

Le miroir face à moi reflète l’image d’un garçon à la peau légèrement bronzé et aux cheveux bruns et lices. Elle me montre moi, Abel. Je souris à la vue de mon reflet. Pas que je me trouve particulièrement attrayant, non, mais je suis toujours troublé de me voir dans le miroir. Ma peau a tellement bronzée depuis que je suis arrivé que je me reconnais à peine.

J’enfile ma tunique blanche sur laquelle est brodé au fil d’or un petit scarabée mécanique, l’emblème de l’université, avant de me diriger vers les douches. Celles-ci sont désertes. Les autres ont déjà tous dû rejoindre les salles de cours pour être irréprochables jusqu’à la fin.

Je tourne le pommeau en cuivre de la douche et sens l’eau bouillante déferler sur tout mon corps. Elle me brûle presque, mais je n’ai aucun geste pour baisser la température. Aujourd’hui plus que tout autre jour, je voudrais que le temps s’arrête.

Le carrelage blanc immaculé est délicieusement froid contre mes pieds nus. Des bruits de pas s’approchent des douches avant de continuer leur chemin. La vapeur que produit l’eau chaude est si dense que je ne vois plus le bout de mon nez. Je cherche mes habits à tâtons avant de les passer au-dessus de ma tête pour sortir.

Je descends tranquillement les marches de l’escalier en fer que j’ai dû fouler des centaines de fois. Je suis tenté de rejoindre les autres, mais prends finalement le chemin de la réserve.

Je l’aurais probablement fait si j’avais encore une chance, mais maintenant, c’est trop tard. J’emprunte le petit couloir qui descend jusqu’aux archives.

Les archives. Probablement le lieu le plus désert de l’observatoire. C’est la mémoire du monde. Le seul endroit à ma connaissance à posséder une telle quantité de documents et d’objets de toutes sortes.

Le couloir débouche sur une petite salle circulaire baignée par les rayons du soleil levant. Des tables sont disposées de part et d’autre de la pièce pour permettre aux érudits de consulter les pièces de la collection. Je m’approche du comptoir où une vieille femme boit une tasse de café fumante.

- Encore toi ?

- Ne vous inquiétez pas, c’est la dernière fois.

Je baisse le regard.

- Je n’ai plus aucune chance n’est-ce pas ?

- Non, aucune.

Elle avale une gorgée avant de reprendre.

- Mais tu le savais. Peut-être même que c’était ton but au fond.

- Non ! Pourquoi l’aurais-je fait après toutes ces années ?

- Précisément. Tu es au bout. Et ça fait un moment.

C’est vrai. Une partie de moi veut échouer aux examens. La pression est devenue trop grande, et la solitude aussi.

- Puis-je avoir les clefs ?

- Je veux les avoir récupérées avant le début de la cérémonie.

- Ça va de soi.

Je me dirige vers la porte du fond pour accéder aux plantes. Le froid m’envahit comme des centaines d’aiguilles dès que j’entre dans la pièce.

Je me maudis intérieurement de ne pas avoir pris de manteaux et prends la direction de l’étagère de droite tout en frottant mes mains bleuies. Des milliers de petits paquets sont classés par ordre alphabétique sur ses rayons en bois. C’est là qu’est entreposé un exemplaire de chaque plante présente à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte.

Cependant, si je suis capable de m’émerveiller de longues heures devant cette collection, mon regard ne fait qu’effleurer les rayonnages. Je ne suis pas venu pour ça. Je scrute le troisième étage des yeux.

Le froid devient de plus en plus insupportable et je m’apprête à faire demi-tour lorsque j’aperçois enfin ce que je cherche : un objet rectangulaire, pas plus haut qu’un pouce enveloppé dans du papier kraft. Je le saisit et le cache sous ma toge. Il n’y a rien d’illégale, le paquet m’appartient, mais il serait délicat de devoir expliquer à l’archiviste - bien que très gentille - ce que mon livre fait ici.

Je regagne la salle de consultation où la vieillarde lit le journal en sifflotant une aire d’opéra. Elle tourne son visage couvert de rides où résident encore quelques taches de rousseur vers moi.

- Tu vas me manquer. Les autres ne descendent presque jamais ici.

- Vous aussi Ilaria, vous me manquerez.

- Mais tu ne reviendra pas.

- ... Ils ne me laisseraient pas.

- C’est vrai, mais tu pourrais devenir mon apprenti. Sept ans à l’Observatoire c’est largement assez pour obtenir cette fonction.

J’ai un élan de sympathie pour cette vieille femme, bien que parfois assez rude dans ses propos – je m’étonne d’ailleurs qu’elle n’ai jamais eu d’avertissements -, mais qui a toujours était la seul à accepter de m’écouter. Les conférenciers de l’université sont distants et les érudits ne se parlent jamais, par sécurité. La compétition prend une telle place dans leurs vies que chaque élément pourrait être retourné contre eux.

- Peut-être dans quelques années.

- Ne me mens pas, tu sais aussi bien que moi que tu ne reviendras jamais.

- ...

La pièce est à présent baigné de lumière.

- Allez, donne moi les clefs et file. La cérémonie va commencer.

- Au revoir Ilaria.

- Au revoir Abel. Rappelle-toi que les apparences peuvent être trompeuses.

- Pourquoi me dites-vous cela ?

Elle plante son regard bleu d'ordinaire si expressif sur moi, mais qui aujourd'hui ne laissent rien transparaître.

- Un simple conseil. Au revoir Abel.

L’archiviste plie son journal et regagne ses appartements de sa démarche boiteuse.

En la regardant partir, j’ai l’horrible impression d’assister à une pièce de théâtre dans laquelle un des personnage est en train de quitter la scène pour ne jamais y revenir.

Je remonte les escalier quatre à quatre pour regagner l’amphithéâtre central où a lieu la cérémonie. La fameuse cérémonie. Celle que tout les érudits attendent dans un mélange de crainte et d’espoir chaque année. Cet étrange rituel annonce qui reste étudier à l’Observatoire des Lumières, et qui est contraint de le quitter.

L’amphithéâtre est un lieu véritablement majestueux avec ses centaines de fauteuils en velours rouge, ses loges suspendues sur les côtés et sa large scène en bois noir : il fait penser à un théâtre. Je met une bonne dizaine de minute à trouver une place tellement les érudits grouillent déjà de partout. Lorsque je m’assit enfin, la tension est à son comble, mais il serait impossible de deviner pour quelqu’un d’extérieur à l’Observatoire qu’une cérémonie déterminante va bientôt avoir lieu.

Un petit homme voûté par le poids de la boîte qu’il transporte entre dans l’amphithéâtre. Il pose l’objet sur la table puis sort un mouchoir de sa poche pour tamponner son front d’où perlent de grosses goûtes. Ses superbes moustaches en points d’interrogations lui donnent un air comique malgré lui. J’ai déjà vu cet homme : c’est le concierge. Il pose l’une de ses grosses mains sur le dessus noir patiné de la boîte et saisit de l’autre la manivelle. Un léger ronronnement s’échappe de la machine et des nombres peints en blancs commencent à défiler à l’aide d’un mécanisme à volet. Tous les regards fixent à présent le cadran.

Nos vies à tous dépendent des nombres qui vont apparaître, mais nous n’avons aucune réaction. Le moindre sourire peut donner lieu à de lourdes sanctions jusqu’à la disgrâce impactant toute la famille de la personne concernée. C’est la règle. Le silence qui règne dans la salle est si lourd que je dois lutter contre l’envie de tousser. Tout le monde se tient droit, le seul détail trahissant notre nervosité est le léger pli qui s’est formé sur presque chaque front. Et puis soudain, il y a un claquement et le ronronnement stoppe net. Tous les numéros des personnes retenues ont fini de défiler. Le concierge arrête de tourner la manivelle puis reprend la boîte noire et s’en va. Les érudits se levent un par un pour se diriger vers les grandes portes de l’amphithéâtre. Je les regarde passer et mon estomac se noue lorsque je me rends compte que je ne connais le nom d’aucun d’entre eux.

Sans surprise mon numéro n’est pas apparu. Durant chaque cycle, j’ai travaillé jusqu’au milieu de la nuit et me suis levé à l’aube pour aller à la réserve, mais cette année, je n’ai fait aucun effort. Je me réveille trop tard, assiste en moyenne à six conférences quand les autres en font quinze, ne va plus consulter la bibliothèque... C’est insuffisant pour rester.

Je me lève à mon tour et baisse mon regard vers ma voisine de droite. Ses longs cheveux roux cachent son visage.

- Je crois qu’il faut tomber en bas, dit-elle

J’écarquille les yeux. J’ai passé sept ans à l’Observatoire des Lumières, et en tout ce temps, aucun érudit ne m’a jamais adressé la parole, encore moins pour me dire une chose pareil.

- Je vous demande pardon, je n’ai pas compris ce que vous avez dit.

Elle leve ses yeux inexpressifs vers moi et répète toujours aussi sérieusement.

- Je crois qu’il faut tomber en bas.

 

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Aliam JCR
Posté le 18/06/2022
Salut !

J'ai beaucoup aimé la lecture de ton premier chapitre ! :) C'est un plaisir de découvrir ton histoire et j'ai hâte de savoir la suite !

J'ai noté quelques petites coquilles, elles ne dérangent pas du tout la lecture. Je te les note mais sâche que c'est bienveillant :)

Voici mes quelques petites remarques :

- je m’obligea -> je m'obligeai
- Celle-ci est à moitié bouché -> Celle-ci est à moitié bouchée
- Ma peau a tellement bronzée -> Ma peau a tellement bronzé. Je crois que c'est invariable vu qu'il n'y a pas de COD.
- je me reconnaît -> je me reconnaîs
- au file d’or -> au fil d’or
- tous dut rejoindre -> tous dû rejoindre
- rejoindre les salles de court -> rejoindre les salles de cours
- sent l’eau bouillante -> sens l’eau bouillante
- une tel quantité de documents -> une telle quantité de documents
- Je m’approcha -> Je m’approchai
- Je baissa le regard -> Je baissai le regard
- Pourquoi l’aurais-je fais -> Pourquoi l’aurais-je fait
- La pressions est devenu -> La pression est devenue
- Je me maudit intérieurement -> Je me maudis intérieurement
jesaispastrop
Posté le 18/06/2022
Merci beaucoup pour ton retour ! Je vais corriger ça tout de suite :)
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