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Par Brook
Notes de l’auteur : Avec le commencement de la nouvelle année, j'ai décidé de publier une nouvelle histoire. Contrairement à la dernière, qui n'a malheureusement pas encore trouvé de suite malgré ses 10 chapitres, celle-ci a eu le temps de mûrir. Je la nourris depuis presque 6 mois maintenant. Pour celleux qui l'ont lu, elle vient de "Des histoires comme ça".
J'espère qu'elle vous plaira. Bonne lecture !

Assis seul à sa table, il appuyait mollement sur une pipette d'huile. Une goutte tomba dans le bécher rempli d'eau. Elle flottait seule, comme lui, immiscible.

La sonnerie de dix-sept heures annonça la fin des cours. Il sortit de la salle de classe le premier, comme toujours. Il marchait les yeux rivés sur les escaliers qu'il descendait, et ne détourna pas le regard de ses chaussures jusqu'à arriver chez lui. 

Il s'arrêta devant la maison, si on pouvait encore appeler ça comme ça.  Il leva les yeux vers le ciel gris. Il pleuvait à petites gouttes. Le ciel nuageux avait l'air encore plus sombre par  cette soirée d'hiver où il faisait nuit tôt. Le proxénète et l'accro au cannabis avec qui il cohabitait n'étaient pas encore rentrés, et ne reviendraient que tard dans la nuit. Il retira son sac à dos et le posa sur le pas de la porte, puis se mit à marcher dans la direction opposée à celle de l'école. Les rues étaient désertes, sûrement car il faisait trop froid pour que quiconque n'ait envie de sortir. Il ne tremblait pas, son corps était déjà gelé. Sa respiration était lente. Il traversait des chemins peu fréquentés, inconnus des gens normaux, où les ivrognes allaient se laisser choir, bouteille à la main, inertes, d'une rigidité presque cadavérique. 

Les odeurs d'alcool et d'urine disparurent bientôt pour laisser place à l'effluve fluviale portée par le vent nocturne. Il se trouvait au point le plus haut de la ville, surplombant ses centaines de points lumineux. Il lui sembla que les étoiles dans le ciel étaient moins nombreuses, ce soir. Il descendit plusieurs dizaines de marches d'escaliers, raides. Il rejoignit le pont qui surmontait le fleuve, calme et silencieux. Il laissait glisser sa main sur la barrière tout en marchant. Il s'arrêta au milieu du pont. Il escalada sans trop de difficultés la rambarde et resta debout sur le rebord. Il fixait le fleuve en contrebas. 

Une chute de plus de soixante mètres dans l'eau causerait une mort quasi-instantanée. "L'eau devient dure comme du béton", avait-il lu. Il voulait en finir sans la moindre souffrance. 

Le vent glacial soufflait sur son visage, ses bras, et sur ses mains cramponnées à la rambarde elle aussi givrée. 

Des idées contradictoires s'affrontaient en lui. Son corps refusait ce que lui ordonnait, même suppliait son esprit. Il ne savait pas lequel des deux avait raison. Mais après tout, s'il était arrivé jusque là, c'était que son esprit lui donnait sûrement la bonne solution, radicale, définitive. Le corps était faible, alors que l'esprit comprenait tout, sans rien pouvoir faire. 

Ses doigts lâchèrent la barrière. Il laissa son corps chuter, apaisé. Il ferma les yeux. Il ne prit pas peur, il n'en eut pas le temps. Tout s'arrêta. 

Le silence était bourdonnant. Il faisait froid. Son corps flottait. Il se demanda si c'était à ça que ressemblait le monde après la mort, et s'il était même vraiment mort. Il ouvrit un œil hésitant, doucement l'autre, et le reflet de son visage dans l'eau sombre du fleuve surgit. Il fut stupéfait, mais ne s'affola pas pour autant. Son corps était enveloppé et porté par une chaleur flottante, qui le faisait remonter lentement jusqu'au pont. Son corps fut déposé en plein milieu de la route déserte. Il était seul sur le pont. Il faisait maintenant nuit. Il resta sans bouger pendant quelques minutes sous la lumière jaune des lampadaires. Il se trouvait à nouveau sur le rebord du pont, au même endroit. C'était comme s'il n'avait jamais sauté. Ce ne fut qu'à ce moment que les battements de son cœur s'accélérèrent. Les questions fusèrent dans sa tête sans pouvoir s'arrêter. Elles se multiplièrent sans qu'il n'y trouve de réponses, jusqu'à ce qu'il réalise que, aussi incroyable qu'il ait pu paraître, ce moment a bien été réel. Il soupira et se mit à marcher. Il rentra chez lui en empruntant le même chemin qu'il avait pris pour aller au pont. Il ne croisa personne, ou personne n'avait voulu croiser sa route. 

Arrivé devant la porte de sa maison, il vit à travers la fenêtre du salon que la télévision était allumée. À l'étage, dans sa chambre, des silhouettes étaient visibles. Elles avaient l'air de reproduire à l'infini le même mouvement, sur un rythme épuisé, que seule une des deux avait l'air d'apprécier. L'autre paraissait immobile, comme un mannequin. 

Sur le perron, son sac avait été déplacé. Il le ramassa et ouvrit la porte d'entrée qui donnait directement sur le salon enfumé. Il vit sa mère fondue sur le canapé, un joint à la main. Elle ne l'entendit pas entrer. Elle avait l'air morte. 

 

- Je suis rentré.

 

Elle tourna lentement et à moitié la tête vers lui, les yeux mi-clos. 

 

- Ah, t'es là. Va pas dans la chambre, papa travaille. Tu dormiras ici ou dans la cuisine, soupira-t-elle sans même finir sa phrase pour se tourner vers cette série policière allemande mal doublée qu'elle voyait tous les jours. 

 

Il alla dans la cuisine, appuya sur l'interrupteur, mais la lumière ne s'alluma pas. Il soupira. Il fallait changer l'ampoule. Il aperçut tout de même l'ombre d'une boîte de pizza sur la table, dont il s'empara avant d'aller s'asseoir à côté de la mère. Il ne restait que trois parts, sèches. Il les mangea sans s'en plaindre. 

Une fois son copieux dîner fini, il alla jeter la boîte à la poubelle. Il revint dans le salon et vit sa mère allongée sur le canapé. Lorsqu'elle était à la maison, elle passait ses nuits sur le canapé, endormie devant la télévision allumée. Il y avait pourtant une chambre parentale que la mère, mais surtout le père, désertaient toujours. Elle était inutile. Il alla se coucher sur le plancher glacé de la cuisine après avoir enfilé un épais gilet à capuche. Dans cet état, impossible de réveiller sa mère ou de la déplacer. Et sa chambre était encore occupée : "Papa travaille". Le plancher qui grinçait au-dessus de lui l'empêcha de trouver le sommeil pendant plusieurs heures. S'ajoutaient à ça les bruits de pas et les voix des allées et venues de dizaines d'inconnus dans la maison. Le vacarme ne s'arrêta qu'au petit matin. Il dormit deux ou trois heures. Il en avait droit à cinq, les bons jours (les mauvais pour le père).

 

 

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Sofhily
Posté le 14/01/2023
Hey à toi ! Le texte que tu as écrit est intéressant. J'aime beaucoup tes descriptions avec les éléments de la nature se mêlant tristement aux sentiments du personnage.
Brook
Posté le 15/01/2023
Merci beaucoup pour ce commentaire ! Content que ça t'ait plu, tu ne sera pas déçue du reste. La suite est sensée arriver dans peu de temps. À très vite !
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