Je m’arrête, essoufflé. C’est toujours les dernières marches, les plus difficiles.
Ça fait maintenant quelques jours que l’ascenseur de la tour centrale ne fonctionne plus. Il sera réparé, mais pas de suite. C’est tout sauf une urgence.
Je m’approche de la vitre, plonge mon regard dans la plaine du couchant. Le soleil décline et ses rayons ras font rougeoyer la terre. Aujourd’hui, tu n’es pas là pour assister au spectacle. Pas grave. Tu viendras demain ou peut-être un autre jour.
Le temps, on en a. C’est même la seule chose qu’on a.
La vitre du dôme déforme un peu l’extérieur. Elle l’a toujours fait. Et moi, je me suis toujours demandé à quoi ça aurait ressemblé sans elle. Un ciel infini au-dessus de nous. Le vent, le vrai, sur la peau.
Les premiers humains qui sont venus ici, ils l’ont connu, tout ça. Pas ici, bien sûr. Plutôt sur Terre. Ils n’avaient pas besoin de protections, pas besoin d’oxygène recyclé. Ils avaient tout : le ciel au-dessus d’eux, le vent, le bruissement des arbres. Ils avaient tout et pourtant, ils sont venus là.
Peut-être qu’ils pensaient transformer cette planète en une autre Terre. Une Terre sans surpopulation, sans pollution, sans guerre et sans famines. Peut-être qu’ils pensaient ça. Seulement, ça a été compliqué.
Tu crois qu’un jour, on pourra partir d’ici ? Allez voir la Terre ? Tu crois qu’un jour, on pourra quitter ce dôme ?
Ce ne sont pas des questions qu’on pose. Parce que tout le monde sait que ça n’arrivera jamais. La Terre, ça fait plus de cinquante ans qu’on n’a eu aucun contact avec elle. Aucun message, rien. Et nos fusées ne sont plus vraiment en état de supporter le voyage.
Mais tu vois, parfois je m’interroge. Est-ce que les premiers humains ici pensaient pouvoir rendre la surface habitable ? Est-ce qu’ils pensaient pouvoir créer une atmosphère ? Est-ce qu’ils pensaient pouvoir faire pousser des arbres ?
Imagine ça…
Imagine cette plaine, morte, morne. Imagine-la pleine de végétation. Des arbres qui s’agitent dans le vent, des oiseaux qui y construisent leur nid, des insectes qui filent dans une chaude journée estivale.
Imagine l’automne et toute cette plaine rougeoyante. Non plus de la terre et de la poussière, mais des feuilles. Des feuilles qui virevoltent, qui se laissent prendre dans le vent. Des feuilles qui reviennent à la terre.
Imagine les froids de l’hiver, la plaine recouverte d’un manteau blanc, les branches pliant sous le poids de la neige. Et quelques promeneurs, emmitouflés dans leurs vêtements chauds, les joues rougies par le froid. Sans combinaison de protection, sans respirateur.
Et le printemps, imagine le printemps. La neige qui fond, qui dégringole en ruisseaux. Et puis, les bourgeons, les branches qui se gorgent de sève, la vie qui revient petit à petit. Le vert tendre des jeunes pousses, les pastels des fleurs qui éclosent. Imagine tout ça.
Mais on ne le verra jamais. Cette planète restera morte, aussi morte que quand les premiers arrivants ont atterri dessus.
Elle restera morte et jamais aucune forêt ne poussera dans la plaine du couchant.
Et j'arrête de raconter ma vie et en reviens à ce texte que je viens de lire. Je me suis laissée duper comme une débutante par le titre en prenant le premier sens de 'Mars' qui m'est venu à l'esprit. Je suis le genre de fille qui ne regarde pas les bandes-annonce de films, et apparemment ne fait pas excessivement attention aux couvertures de nouvelles non plus. xD Mais je trouve ma méprise bien tombée, puisque dans tes descriptions tu pars assez vite dans le lyrique et les saisons, donc le parallèle entre la planète et le premier mois de Printemps se fait bien.
Sur le fond, j'ai trouvé l'histoire un peu triste quand même. Cette résignation du personnage, cette perte de vue de leur planète d'origine. Mais assez (paradoxalement) terre-à-terre de sa part. Il ne se fait pas les mêmes illusions que ses ancêtres. C'est peut-être ça la véritable marque du progrès.
Je reste un peu sur ma faim quant à pourquoi il monte cette fichue tour. Et à qui s'adresse-t-il ? Mais peu importe, ce n'est pas le sujet.
Et ce qui me perturbe surtout, c'est qu'il semble estimer avoir tout le temps devant lui. Est-ce là sa dernière illusion ? Est-ce que c'est une forme de sarcasme, et il dit ça parce que justement il n'y a plus rien à faire qu'attendre la fin ? Ou bien est-ce que sa situation, qui d'un point de vue de Terrienne paraît particulièrement précaire, ne le serait effectivement pas tant que ça ? Difficile d'imaginer un écosystème renouvelable sur un planète pour ainsi dire morte, pourtant.
Je me demande aussi comment il peut décrire les saisons avec autant de précision s'il n'a jamais été sur Terre. Ils les reproduisent avec un fidélité partielle sous le dôme qu'il décrit ? Il se base sur les récits des anciens ?
Bref, un texte agréable à lire, empli d'un espoir triste, et qui donne comme beaucoup de nouvelles envie d'en apprendre plus sur le contexte. =)
Héhé, j'aime tellement les contraintes, moi, ça permet de sortir de sa zone de confort ! Courage à toi aussi !
C'est un peu le paradis perdu que tu décris... pauvre colons déchantant sur une terre promise plutôt foireuse. En tout cas, c'était agréable à lire et le changement de rythme à la fin m'a bien plu. Merci pour ce voyage interstellaire! On est pas si mal chez soi...
J'ai quand même une question sur le narrateur (essoufflé donc narrateur ?) : comment sait-il à quoi ressemblent les saisons ?
Pour ta dernière question, les connaissances ne se sont pas perdues dans le voyage. Et même s'il n'est jamais allé sur Terre, il en a vu les images :)
Un texte gorgé de pessimiste et pourtant aussi doux qu'une caresse !
On en vient à se poser la question si certains vivront une telle situation un jour... Je ne le souhaite pas, on à déjà bousiller une planète c'est bien suffisant !
Merci pour ce petit instant hors du temps !
Pareil que Dé, j'ai eu l'impression que tu proposais quelque chose de légèrement différent par rapport à d'habitude. C'est toujours aussi triste et "brutal" mais là, tu as insufflé quelque chose de plus directement poétique et nostalgique.
Va falloir que j'attende la semaine prochaine, c'est ça ?!
Wep, je pars sur une petite nouvelle par semaine, j'espère pouvoir m'y tenir !
Le ton du texte n'est pas super joyeux. Et la façon que tu as d'enfoncer le clou, "imagine tout plein de trucs bien sympa… tu imagines ? eh bien, il y aura pas. il y aura jamais". BAM!
En même temps, on ne peut que penser à l'actualité, tu pointes du doigt un souci qui existe pour de vrai. La nature maltraitée, les humains qui font mal à la planète.
En bref, très beau texte. J'écouterai la version audio à l'occasion. Je préfère espacer lecture et écoute, j'ai peur de ne pas profiter pleinement sinon.
A la semaine prochaine alors, si je comprends bien ? :)